Le Mozambique, entre gaz et djihad

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L’histoire retiendra peut-être que la guerre éclata au paradis le jeudi 5 octobre 2017. Avec ses eaux turquoise, ses baleines qui croisent à quelques mètres des plages de sable fin et son chapelet d’îles où Vasco de Gama aurait fait escale, la province de Cabo Delgado, dans l’extrême nord du Mozambique, a tout de l’éden touristique. Depuis la découverte, en 2010, de gigantesques réserves gazières, elle est aussi un eldorado pour les grands noms du pétrole et du gaz.

C’est ici que se jouent l’avenir de ce pays d’Afrique australe, potentiel quatrième exportateur mondial de gaz, et son entrée dans une nouvelle ère économique. Les deux principaux projets, Mozambique LNG, piloté par Total, et Rovuma LNG, par Exxon Mobil et ENI, devraient générer respectivement 25 et 30 milliards de dollars (environ 22,7 et 27 milliards d’euros) d’investissements. Les caisses de l’Etat, vidées par une longue guerre civile (1976-1992) ­suivie d’une gestion très hasardeuse, promettent de se garnir pour les vingt-cinq prochaines années par le plus grand programme industriel jamais engagé sur le continent.

Un homme se repose à l’ombre d’un patio avant les prières du vendredi à la mosquée Omar Ibn Khatuab, à Pemba (Mozambique), le 23 août 2019.
Un homme se repose à l’ombre d’un patio avant les prières du vendredi à la mosquée Omar Ibn Khatuab, à Pemba (Mozambique), le 23 août 2019. MARCO LONGARI / AFP

C’est dans cette même province de Cabo Delgado que, le 5 octobre 2017, un petit groupe d’islamistes fit irruption au cœur de la nuit, attaquant les postes de police de Mocimboa da Praia et tenant le siège de la localité pendant quarante-huit heures. Depuis, les attaques se multiplient. Ceux qui les mènent – les chabab, les « jeunes » – ont fabriqué un petit monstre, boursouflé du poison des frustrations et des rivalités locales, qui comporte encore sa part de mystère.

Leurs actions ont aussi inscrit le Mozambique sur la carte du djihad mondial : pour la première fois, le 4 juin 2019, l’organisation Etat islamique (EI) y revendiquait une opération. Selon un communiqué authentifié par l’entreprise américaine spécialisée dans la surveillance des sites Internet islamistes SITE Intelligence Group, « les soldats du ­califat ont repoussé une attaque de l’armée des croisés mozambicaine dans le village de ­Metubi (…), tuant et blessant nombre d’entre eux (…). Les moudjahidine ont saisi des armes, des munitions et des roquettes comme butin ».

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Pemba, la capitale provinciale, située à 2 500 kilomètres au nord de Maputo, donne un premier aperçu des mutations en cours. A l’aéroport, les touristes sud-africains venus profiter du farniente, de la plongée sous-marine et de la bière se mêlent désormais aux employés des multinationales et de leurs sous-traitants escortés des gros bras des sociétés de sécurité privée, chargés de les conduire jusqu’au site des futures installations gazières.

Mines de rubis

En contrebas d’une échoppe de paréos et de maillots de bain s’est ouverte la boutique plus chic de Gemfields, qui se présente comme « un leader mondial des pierres précieuses colorées d’origines responsables » et exploite les mines de rubis de Montepuez, à environ 200 kilomètres de là. L’installation de cette société sur ce qu’elle considère comme « les plus larges et excitantes réserves de rubis du monde » a été précédée, début 2017, par l’expulsion violente de plus de 7 000 mineurs illégaux… ou artisanaux, selon les points de vue. A la suite de quoi des accusations de meurtres et de tortures ont été portées devant la Haute Cour de Londres par 273 Mozambicains. Pour s’en défaire, Gemfields a accepté, en janvier, de verser aux plaignants 5,8 millions de livres (6,77 millions d’euros) à titre de compensation.

Entre Pemba et Palma, la bourgade de Macomia n’a quant à elle entrevu aucun signe de développement. Bien au contraire. Le cyclone Kenneth y a laissé, fin avril, une vilaine balafre

Derrière la plage et le restaurant Blue Dolphin, les tubes qui serviront à la construction d’un pipeline attendent leur mise en service sur la base logistique de la major italienne ENI. Cette révolution ne sera peut-être qu’éphémère à Pemba, car les grands projets gaziers se concentrent autour de Palma, à environ 400 kilomètres plus au nord, en lisière de la frontière avec la Tanzanie.

A Tica (Mozambique), Carl Antonio, 58 ans, dort dans un arbre déraciné par le cyclone Idai, qui a dévasté une partie du pays, en mars. En avril, le cyclone Kenneth sévissait à son tour.
A Tica (Mozambique), Carl Antonio, 58 ans, dort dans un arbre déraciné par le cyclone Idai, qui a dévasté une partie du pays, en mars. En avril, le cyclone Kenneth sévissait à son tour. YASUYOSHI CHIBA / AFP

Entre Pemba et Palma, la bourgade de Macomia n’a quant à elle entrevu aucun signe de développement. Bien au contraire. Le cyclone Kenneth y a laissé, fin avril, une vilaine balafre. Les cocotiers arrachés par le vent ont écrasé les maisons et tracé des labyrinthes parmi les ruines. « 90 % des infrastructures ont été affectées, les zones de production agricoles ont été détruites. Nous avons ­besoin d’aide pour la reconstruction », plaide Fernando Neves, l’administrateur du district. Difficile de le contredire quand les toits du siège de son administration et de sa demeure ont été soufflés, leur intérieur saccagé.

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Après avoir insisté sur le caractère « naturel » des calamités qui frappent son district, le fonctionnaire, qui ne cache pas son appartenance au Frelimo, le parti au pouvoir, concède que « l’autre problème, c’est les malfaiteurs ». Sous le sourire narquois du président, Filipe Nyusi, dont il a installé le portrait sur la ­terrasse qui lui sert désormais de bureau, M. Neves relativise : « Grâce au gouvernement, les gens peuvent voyager en paix et retourner aux champs. Les attaques ont été repoussées par nos soldats. Les institutions, le marché et les écoles fonctionnent. Et les élections se sont déroulées de manière transparente. »

Dans la rue, une petite dizaine de policiers en civil, équipés de fusils d’assaut, grimpent sur un pick-up et démarrent en trombe.

« Ils gardaient leurs machettes pour prier »

Qui sont ces « malfaiteurs » ? « Des bandits ! Des voleurs ! Il n’est pas question de religion », assure Fernando Neves, relayant le discours officiel. Avant d’être réélu en octobre avec 73 % des suffrages officiels et malgré des ­accusations de fraude, le chef de l’Etat s’est dit prêt à discuter avec les insurgés, « s’ils montrent leur visage ».

Au milieu de la terre sèche qu’il bêche en bord de route avec son épouse dans l’espoir d’y dénicher du manioc, Abubacar – un nom d’emprunt –, enseignant, en sait long sur ces « malfaiteurs » qui ont incendié sa maison dans le village d’Ilala, en juin. Il en avait construit une seconde à Macomia, pensant ainsi mettre à l’abri sa famille. Mais l’histoire peut être cruelle : le cyclone l’a détruite.

« A Ilala, ils étaient un groupe de seize, Mozambicains et Tanzaniens, raconte-t-il. Avant les attaques, ils prêchaient, habillés de pantalons courts, de longues tuniques et coiffés de turbans. Leurs femmes étaient entièrement couvertes. Ils entraient dans les mosquées avec leurs chaussures et gardaient leurs machettes pour prier. Les gens les ont expulsés, et l’administrateur du district leur a demandé de construire leur propre mosquée, mais les villageois l’ont détruite. Puis ils ont été chassés des autres villages. Alors ils sont partis en brousse où ils se sont regroupés avec d’autres… »

Leur retour fut meurtrier. « Mon collègue et sa femme ont été tués, leur fille a été amputée de trois doigts », conclut-il.

Dans un premier temps, les assaillants auraient ciblé ceux qui s’apparentent à des représentants de l’Etat. Puis les attaques se sont généralisées et sont devenues plus brutales et organisées. Les razzias se sont assorties de décapitations. « A Mucojo, ils ont tué trente personnes. Même ma mère ! Une vieille !, s’indigne Fatima, une agricultrice qui a fui son champ. Ils avaient des fusils, des couteaux. Dans les villages, les soldats ne sont pas assez nombreux pour résister. Les agresseurs sont masqués, on ne peut pas les reconnaître. Ils s’habillent com­me des musulmans, mais les vrais musulmans ne tuent pas les gens comme des animaux. »

200 attaques depuis 2017

Un transporteur de Quiterajo, rescapé d’une embuscade qui a fait cinq morts sur le chemin qui le menait à Macomia, raconte que « les hommes portaient des uniformes de la Force d’intervention rapide de la police. Peut-être les avaient-ils volés. Aujourd’hui, plus personne ne prend cette route, sauf les soldats ». Depuis, lui se retrouve déplacé et sans emploi.

Selon une note de l’Union européenne, rédigée début octobre et dont Le Monde a eu copie, depuis 2017, « plus de 200 attaques ont causé la mort d’au moins 500 personnes et le déplacement de dizaines de milliers d’autres » – environ 60 000, selon les Nations unies. Le nombre des insurgés est estimé « entre 300 et 1 500 », la fréquence des attaques a augmenté d’« une moyenne de deux par mois en 2017 à douze en 2019 ».

Si le lien opérationnel avec l’EI est loin d’être établi, « les médias de l’organisation ont revendiqué, depuis le 4 juin, neuf attaques menées par sa “province d’Afrique centrale” au Cabo Delgado. Quatre attaques sur les forces mozambicaines, trois “exécutions d’espions” et deux attaques sur des “maisons chrétiennes” ». Une source bien informée évoquait, à la mi-octobre, « 14 références de l’EI au Mozambique sur le dark Web ». Pourtant, comme l’indique un diplomate, « on évite d’employer le mot de terrorisme pour caractériser ce qui se passe dans le Nord. On ne sait pas à qui l’on a affaire : pour qui se battent-ils ? Contre qui ? »

« La radicalisation s’est accentuée quand des jeunes diplômés se sont retrouvés sans perspectives d’avenir. Ils sont entrés en conflit avec le ­Conseil islamique », Liazzat Bonate, historienne

Les racines du mal plongent dans un mélange de frustrations économiques, de conflits générationnels, de tensions communautaires et politiques, et de rivalités internes au sein de la communauté musulmane, avivées par des influences extérieures, dans une région historiquement délaissée par le pouvoir central.

« A partir de 1981, le Frelimo, officiellement marxiste et qui ne connaissait pas grand-chose à l’islam, a promu le wahhabisme [courant rigoriste de l’islam qui fait figure de doctrine officielle en Arabie saoudite] en soutenant la création d’une nouvelle organisation, le Conseil islamique. Son objectif était de concurrencer les structures religieuses traditionnellesauxquelles adhéraient les musulmans de la région, majoritairement favorables à la Renamo[nom de la rébellion, devenue depuis principal parti d’opposition] », relate l’historienne Liazzat Bonate, de la University of the West Indies, à Trinité-et-Tobago.

Vieilles querelles

A la fin de la guerre civile, les frontières se sont rouvertes. Les jeunes de la région ont pu étudier dans des universités comme celles de Médine, en Arabie saoudite, Khartoum ou Le Caire. A la même époque, l’Arabie saoudite a commencé à investir dans la province de Cabo Delgado. Quelques Mozambicains sont partis combattre en Afghanistan. « La radicalisation s’est accentuée quand des jeunes diplômés se sont retrouvés sans perspectives d’avenir. Ils sont entrés en conflit avec le ­Conseil islamique et ont ouvert leurs propres madrasas [écoles coraniques]. C’est ainsi qu’est né Ansar Al-Sunna, en 1998 », ajoute l’historienne.De ce groupuscule, au départ non violent, ont émergé ceux que la région nomme désormais les chabab.

A cette dynamique religieuse s’agrègent de vieilles querelles entre populations mwani et macua, d’un côté, et makonde, de l’autre, attisées par des enjeux financiers et de pouvoir. Les premiers, installés sur les côtes de l’océan Indien, islamisés depuis des siècles, nourrissent une rancœur grandissante à l’égard des seconds, chrétiens, qui s’étaient réfugiés à l’intérieur des terres pour échapper aux raids esclavagistes.

« Les Makonde ont été les grands gagnants de la guerre civile, explique le sociologue Joao Feijo, de l’Observatoire du milieu rural. Ils sont passés de marginaux, traqués comme esclaves, au statut d’élite militaire. Ils occupent les meilleurs postes au sein du ministère de la défense, s’octroient des pensions d’ex-combattants. Leurs villages ont des toits de tôle. De leur côté, les Mwani ont le sentiment d’être devenus les employés des Makonde. Ils leur reprochent de manger seuls et d’accaparer les meilleures terres depuis les découvertes de gaz. »

Business gazier

Dans la province de Cabo Delgado, la seule à majorité musulmane du pays, la vieille légende d’un vampire qui s’enrichit en suçant la nuit le sang de ses victimes continue de fournir une explication simple à la pauvreté. La personnalisation de cet ennemi fantasmé devient d’autant plus aisée quand le chef de l’Etat, Filipe Nyusi, est makonde, et que son parrain et figure toute-puissante de la région, le général Chipande, « l’homme qui tira le premier coup de feu de l’indépendance » contre le colon portugais, selon l’histoire officielle, s’est lancé avec succès dans le business gazier. Ou que le général Pachinuapa, autre ponte du Frelimo, est l’un des principaux bénéficiaires des mines de rubis de Montepuez.

« Les opérations du gouvernement pour lutter officiellement contre la déforestation illégale, le braconnage des éléphants ou pour chasser les clandestins des mines de rubis ont laissé des milliers de jeunes sans ressources, poursuit Joao Feijo. Ce n’est pas une coïncidence si ces insurgés sont nommés chabab. Car il s’agit souvent de jeunes qui se sentent exclus. » L’arrestation de dizaines de jeunes d’Ansar Al-Sunna avant la première attaque, puis, dans les jours qui suivirent, les arrestations massives et la ­répression violente ont alimenté le brasier.

Selon d’autres sources, certaines tueries ne seraient pas commises par des djihadistes. Elles résulteraient d’affrontements entre pêcheurs liés au trafic d’héroïne. La drogue, partie des ports du Pakistan, transite par les ­Comores avant de remonter le long des côtes de l’océan Indien.Pour l’heure, faute d’une revendication directe, d’une figure qui émerge parmi les assaillants, de pouvoiraccéder aux zones d’affrontement, tous les observateurs de la région reconnaissent que leurs analyses sont à prendre au conditionnel.

Un Antonov chargé de matériel militaire russe

Après avoir longtemps minimisé ou éludé le conflit dans cette province stratégique pour l’avenir de la nation, le pouvoir mozambicain est plus ouvertement passé à l’offensive. Un Antonov chargé de matériel militaire russe a atterri, fin septembre, à Nacala, à plus de 400 kilomètres au sud de Pemba. Tout le pays bruisse de l’arrivée de mercenaires de la société Wagner, fer de lance officieux des intérêts du Kremlin en Afrique.

Alors que le vice-ministre de la défense, ­Patricio José, lâche dans un sourire entendu qu’il ne sait rien au sujet de cette entreprise et que sa présence éventuelle se joue « à un autre niveau » que le sien, l’ambassadeur de Russie laisse entendre en petit comité qu’« aucun Russe n’intervient au sol ».« Wagner utilise le port de Nacala pour aller bombarder [les ­djihadistes] par hélicoptère », affirme une source locale. Moscou a ratifié, en août, avec Maputo un accord de coopération lui permettant d’utiliser les ports mozambicains pour sa flotte militaire.

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La rencontre entre les présidents Vladimir Poutine et Filipe Nyusi s’est conclue par des signatures dans divers domaines, dont celui des hydrocarbures. Avant même que sa victoire officielle lors de la présidentielle du 15 octobre soit annoncée, Filipe Nyusi était l’un des invités vedettes du sommet Russie-Afrique de Sotchi, les 23 et 24 octobre. L’ancien grand frère soviétique du Frelimo avait déjà adressé ses ­félicitations, sans se soucier des nombreuses irrégularités constatées lors du scrutin. Pour sa part, Paris avait envoyé à la présidence mozambicaine, avant l’ouverture du vote, une invitation pour le sommet Afrique-France, qui doit se ­tenir, début juin 2020, à Bordeaux.

Attentes et frustrations

Le Mozambique est un pays courtisé et les investisseurs de la planète cherchent à plaire à ses décideurs politiques. Le Frelimo demeure un parti-Etat étroitement lié au monde des affaires, et toutes les chancelleries qui le peuvent proposent à Maputo leurs services – sécuritaires, notamment. Ainsi Patrick Pouyanné, le PDG de Total, a débarqué le 27 septembre pour finaliser le rachat des actifs d’Anadarko, jusqu’alors leader du projet gazier Mozambique LNG. La transaction permettait au président Nyusi d’annoncer, à dix-huit jours des élections, une rentrée fiscale de 880 millions de dollars dans les caisses, quand le budget prévisionnel de 2019 prévoyait des recettes de l’ordre de 4 milliards de dollars. Les calendriers économique et politique peuvent parfois faire bon ménage.

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Soucieux d’éviter la mauvaise publicité, les géants gaziers tentent de gommer leur image de pollueurs et de corrupteurs. A Pemba, Jaime Utui, chargé du suivi des industries extractives de l’ONG Associaçao do meio ambiente – Amigos da Terra, explique que « le développement de l’industrie gazière a eu un impact énorme sur les habitants de Palma », village de 3 000 âmes en passe de devenir une ville industrielle. « Ils ont perdu leurs terres ; les pêcheurs doivent abandonner leurs activités. Des compensations ont été versées en 2018 aux trois quartiers les plus affectés par les ­expropriations : 75 des 576 familles concernées ont été relogées. Les autres doivent l’être cette année, ou l’an prochain. »

Un pêcheur sur la plage principale de Mocimboa da Praia, théâtre de la première attaque djihadiste, le 5 octobre 2017.
Un pêcheur sur la plage principale de Mocimboa da Praia, théâtre de la première attaque djihadiste, le 5 octobre 2017. ADRIEN BARBIER / AFP

Un employé d’ExxonMobil, leader du projet Rovuma LNG, assure que des procédures ont été mises en place « pour éviter les conflits avec les communautés ». « Pour [que nous ne soyons pas] accusés de favoritisme, des emplois sont offerts par tirage au sort. Les habitants voient aussi les projets gaziers comme une possibilité d’élever leur niveau de vie », croit-il. La dégradation sécuritaire liée à l’insurrection islamiste limite cependant le ­contact entre la population locale et les multinationales. Les employés d’ExxonMobil ne se déplacent plus qu’en voitures blindées, ­entourés d’agents de la société Control Risks.

Des sites protégés par l’armée

La sécurité est devenue un enjeu brûlant depuis la mort d’un sous-traitant d’Anadarko, tué le 21 février dans une embuscade sur la route qui mène de Mocimboa da Praia à la péninsule d’Afungi, où seront concentrées les industries. L’entreprise a cessé ses activités durant plus de deux mois. Les exploitants ont ensuite signé un accord avec le gouvernement pour que les sites soient protégés par l’armée, en contrepartie de la prise en charge financière des 300 à 500 soldats déployés. Rien qui soit pour l’heure de nature à remettre en cause l’industrialisation gazière.

Un opérateur économique, qui se rend régulièrement sur les chantiers, résume sans formalités les projets en construction : « C’est encore la jungle, mais ils vont tout défoncer ! On attend entre 12 000 et 15 000 travailleurs pour le projet Mozambique LNG, et 20 000 pour le Rovuma LNG. La zone industrielle, avec les logements, les trains de liquéfaction, les sites de stockage, le port où les tankers pourront se brancher, l’aéroport pour les gros-porteurs, couvre 17 000 hectares ! »

« Le gaz a créé d’énormes attentes, mais la population est le plus souvent analphabète et sans qualifications techniques. Leurs attentes ont toutes les chances de se transformer en frustrations », Luiz Fernando Lisboa, évêque de Pemba

Anadarko a achevé son camp d’habitation depuis plusieurs années. La construction de celui d’ExxonMobil a démarré en septembre et devrait être finalisée au printemps 2020. « ExxonMobil devrait alors signer sa décision finale d’investissement [DFI], relate cette même source. Mais c’est déjà la grosse ambiance. Pour Total et ses partenaires, le compte à rebours a commencé. La DFI a été signée et ils ont cinq ans pour construire toutes les installations onshore et offshore, car la production est déjà prévendue à partir de 2024. »

Comment profiter de la manne promise ? Peu à peu monte à Pemba le sentiment que les « nationaux », venus principalement de Maputo, sont privilégiés par rapport aux « locaux ». « Le gaz a créé d’énormes attentes, mais la population est le plus souvent analphabète et sans qualifications techniques. Leurs attentes ont toutes les chances de se transformer en frustrations », s’inquiète Luiz Fernando Lisboa, l’évêque de la ville.

Appelons-les Jorge et Maria, puisque le souhait de ce couple est de rester anonyme. Descendants de colons portugais, ils sont tous deux restés au Mozambique après l’indépendance de 1975. L’un et l’autre pensaient couler des jours tranquilles à Pemba, où ils se sont installés voilà quinze ans. Face à l’océan, l’époux confie sa mélancolie devant ce mon­de en changement, porté par « des hommes à la crinière d’or » : « Ces dernières années, on a vu les forêts détruites, les éléphants massacrés, les attaques des islamistes et un cyclone à cause du réchauffement climatique… Nous vivons dans un enfer maquillé en paradis. Le vrai paradis est vide : les hommes en ont été chassés depuis longtemps. »

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