Père Stéphane Joulain: «Pas de pitié pour les délinquants sexuels sans justice pour les victimes»

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Père Stéphane Joulain, prêtre et psychothérapeute spécialisé dans le traitement des victimes d’agression sexuelle et des délinquants sexuels.

Père Stéphane Joulain, prêtre et psychothérapeute spécialisé dans le traitement des victimes d’agression sexuelle et des délinquants sexuels.

Père Joulain, les agressions sexuelles sont-elles en hausse généralement dans le monde et en particulier au sein du clergé catholique ?

Globalement, il y a moins de délinquants sexuels, même si la médiatisation de ces affaires semble indiquer le contraire. C’est la parole des victimes qui est plus libérée. Mais en termes de cas d’agressions sexuelles, cela a plutôt tendance à diminuer, bien que cela ne soit pas le cas sur tous les continents. Au sein de la population généralement, le pourcentage des délinquants sexuels est entre 1,5 et 3 %. Chez les prêtres au Canada, les délinquants sexuels représentent 3,7 % du clergé alors qu’aux États-Unis, ils sont entre 3,5 et 5 %. En Australie, 13 % des prêtres et religieux sont des délinquants sexuels. En France, on n’a pas encore de statistiques. Une commission spéciale s’en charge actuellement. Mais il faut se méfier des statistiques car si une congrégation ne comprend que quatre prêtres et que deux sont des délinquants sexuels, les statistiques vont faire état de 50 %.

Quelle lecture doit-on y donner alors ?

Il est possible de faire un constat révélateur, plus le clergé a du pouvoir dans une société, plus les abus de confiance et les abus sexuels sont importants.

Les évêques et le Vatican ont longtemps été complices des prêtres pédophiles, en se contentant de les déplacer d’une paroisse à une autre où ils n’ont fait que recommencer. Pourquoi cette attitude inqualifiable ?

Le Vatican n’avait pas 36 solutions. Au XVIe siècle, le prêtre pédophile aurait pu être condamné à mort et écartelé. Au XVIIIe siècle, l’Église s’est mise à se considérer comme une société parfaite pour éviter que l’État ne mette son nez dans ses affaires. Depuis ça, tout le monde devait accepter que le sacerdoce d’un prêtre fût plus important que l’intégrité d’un enfant. C’est là tout le motif de ma colère envers l’institution qu’est l’Église.

Éprouvez-vous de la colère contre le prêtre délinquant sexuel ?

Je ne suis jamais en colère avec la personne que je traite mais avec son évêque qui n’a pas réagi oui. Mais je ne juge pas. Ce qu’il fallait faire de ces prêtres pédophiles, c’est les soigner et voir s’ils pouvaient exercer une autre charge dans l’Église mais où ils n’auraient plus été en contact avec des enfants. Les décharger de l’état clérical et les laisser retourner à la vie civile comporte un risque de récidive. Il peut être préférable parfois que les prêtres pédophiles soient plus encadrés dans une communauté religieuse que de les laisser aller dans la nature sans supervision.

Faites-vous abstraction de la punition ?

Pas du tout. La sanction est nécessaire parce qu’elle fait sortir le délinquant sexuel de sa toute-puissance. Il réalise alors qu’il a une voix au-dessus de lui. Et à la victime, cela lui envoie comme message que la société n’accepte pas ce qui lui est arrivé.

Vous formez le clergé, les accompagnateurs spirituels et les responsables des jeunes dans les mouvements d’Église sur la prévention. Comment prévient-on la pédophilie ?

Il faut mettre des protocoles en place indiquant à ces personnes vers qui elles doivent se tourner lorsqu’un enfant dit qu’il a été agressé sexuellement. Il faut aussi les former et former les prêtres.

Un courant de pensée veut que si le mariage des prêtres était autorisé, il n’y aurait pas eu de prêtres pédophiles. Votre avis ?

La plupart des hommes que j’ai traités au Canada dans le centre pour délinquants sexuels étaient mariés. Venir dire cela instrumentalise la femme alors que celle-ci  n’est pas un médicament. Un mariage entre un homme et une femme n’a pas une fonction thérapeutique. Une des choses que l’on voit chez beaucoup de prêtres, c’est l’isolement et la sécheresse affective. Est-ce qu’une compagne aurait pu être un soutien ? Oui mais comme pourrait l’être également une communauté de prêtres. Ce qu’il y a, c’est qu’un certain nombre de prêtres ont choisi la prêtrise sans choisir le célibat. Ils sont donc plus sensibles au risque de compenser. Dans la formation des prêtres, on doit s’assurer que les jeunes séminaristes choisissent le célibat et pas seulement la prêtrise.

La pornographie est-elle un déclencheur de la délinquance sexuelle ?

La pornographie peut être un déclencheur chez un délinquant sexuel qui est déjà violent. Elle représente un danger pour ceux qui ont déjà commis l’acte. Les agressions sexuelles en hausse aujourd’hui sont celles de mineurs sur d’autres mineurs. Sur trois agressions sexuelles de mineurs, deux sont commis par des mineurs et ça, c’est le fruit de la pornographie vue par des mineurs de plus en plus jeunes, à  qui leurs parents prêtent les téléphones portables sans aucune supervision.

Comment traite-t-on une victime d’agression sexuelle ?

D’abord, il est important que l’enfant soit cru par ses parents. C’est fondamental pour sa reconstruction. Quand l’enfant n’est pas cru et qu’on lui impose le silence, il peut arriver à douter de sa propre parole. Il va enterrer cette partie de son expérience douloureuse mais quand il sera adulte, le souvenir viendra frapper à sa porte et ça va faire beaucoup de bruit. Les adultes qui ont été agressés sexuellement durant l’enfance  portent en eux des émotions de gamin de sept à huit ans au moment de l’abus. Il va falloir gérer ça. La résilience est différente d’un individu à un autre. Mais dans tous les cas, sa vie sera chamboulée, que ce soit le physique, le psychique et le spirituel et de par ma formation de psychothérapeute et celle de prêtre, cela me fait plusieurs portes d’entrée possible pour aborder la question avec lui. Il est bon d’être qualifié dans ces deux domaines.

Et s’il s’agit d’un enfant ?

L’enfant victime peut être accompagné de son avocat, son travailleur social, son psychologue. Il doit sentir qu’il a autour de lui des adultes qui peuvent le protéger et le mettre en confiance pour qu’il puisse parler. Il sera alors encadré par un réseau thérapeutique de protection. Ma formation de psychothérapeute a développé ma capacité d’être à l’écoute de la souffrance de l’autre pour mieux chercher avec lui ou elle la façon de le reconstruire. Il ne faut jamais être à court de propositions  et surtout ne pas le prendre mal si l’enfant les rejette. L’enfant agressé sexuellement s’est développé en croyant que le non qu’il a dit et qu’il dirait par la suite ne serait jamais entendu. Le fait qu’il dise non signifie qu’il se réapproprie sa capacité à dire non dans la vie. Il faut arriver à lui montrer que ce qui est arrivé n’est pas de sa faute.

Dans le cadre de votre doctorat sur les délinquants sexuels, vous avez passé quatre ans dans un centre de soins pour délinquants sexuels à Ottawa au Canada. Les délinquants sexuels sont-ils tous des enfants victimes d’agressions sexuelles ?

Non, sur les 200 délinquants sexuels que j’ai traités dont trois étaient des femmes, 40 % uniquement avaient été agressés sexuellement durant l’enfance. L’agression sexuelle seule ne suffit pas à faire de l’enfant victime devenir délinquant sexuel. Il y a d’autres critères qui interviennent comme la violence familiale, le harcèlement moral. Plusieurs pathologies peuvent être à l’origine d’une agression sexuelle d’enfant : la pédophilie, qui est une pathologie, le délinquant souffre du trouble de l’objectification sexuelle car il n’est attiré que par des enfants jusqu’à leur puberté ; la perversion narcissique dont la dynamique de fond est le pouvoir sur l’autre mais où la sexualité va aussi être présente. Le délinquant sexuel peut aussi souffrir d’un déficit cognitif, d’une perte de repères moraux car il est déprimé ou alcoolisé. L’alcool est un désinhibiteur moral. Le délinquant peut aussi avoir une hypersexualité et tout ce qui passe sous sa main fera l’affaire ou être un psychopathe qui ne cherche qu’à transgresser la norme et dans son cas, l’agression sexuelle est justement une transgression de la norme. Mais il y a un moment où le délinquant sexuel a le choix. De nombreux pédophiles ne passent pas à l’acte car ils savent que c’est mauvais pour l’enfant ou ils ont peur de la justice. Mais le délinquant sexuel choisit consciemment de le faire.

Comment arrive-t-on à traiter un délinquant sexuel ?

Les psychothérapeutes travaillent en tandem et ils voient des groupes de dix à 12 délinquants en même temps car cela aide ces derniers, qui ont été mis au banc des accusés, à tisser des liens. Un psychothérapeute mène la séance et l’autre regarde les non-dits qui sont très importants car les délinquants sexuels sont des manipulateurs nés. Un des délinquants sexuels doit s’exprimer sur une question de son choix et témoigner devant tout le monde. Ceux qui suivent la thérapie depuis plus longtemps vont rappeler à l’ordre les délinquants qui viennent juste d’être admis lorsque ces derniers mentent. Nous sommes deux thérapeutes dans la salle mais en fin de compte, nous sommes une dizaine. Il y a une volonté collective que tout le monde aille mieux. Au bout de 72 semaines, chaque délinquant sexuel est appelé à emmener quelqu’un de signifiant pour lui – femme, ami, prêtre – et là, on leur demande ce qu’ils ont appris. On introduit les nouveaux délinquants sexuels en simultané pour qu’ils réalisent qu’il y a une fin au processus de réhabilitation. Ceux qui en ont terminé partent avec une caisse à outils qui comprend notamment des indications sur la manière de réagir si l’envie de recommencer leur prend.

Y a-t-il des récidives ?

Oui, cela arrive. Mais ce n’est pas la majorité.

Bio Express

À cinq ans, Stéphane Joulain, un Nantais aujourd’hui âgé de 53 ans, va à l’église et face au crucifix et au Christ mort en croix, fond en larmes car il ne comprend pas pourquoi on a fait du mal à Jésus. Il dit alors à sa maman que lorsqu’il sera grand, il sera prêtre pour guérir Jésus. De 20 à 22 ans, il fait la comptabilité dans la menuiserie familiale. Un soir, il trouve une croix en rameau dans un tiroir. Celleci l’amène à se demander quelle est la signification de cette croix dans sa vie. Il éprouve alors le désir de soulager les souffrances. Il sera donc prêtre. Il étudie au séminaire d’Angers et y côtoie les Mauriciens Sylvio Lodoïska et Eddy Coosnapen, qui sont aujourd’hui prêtres. Il rejoint la Société des Missionnaires d’Afrique. Alors qu’il exerce sa mission à Jérusalem, toutes les personnes qui viennent en confession avec lui sont, soit des victimes d’agressions sexuelles, soit des délinquants sexuels. Un prêtre jésuite qu’il consulte y voit un appel du St Esprit. C’est là que le père Joulain décide d’être psychothérapeute. Il est bardé de diplômes : Bachelor of Arts en théologie, certificat en victimologie, maîtrise en théologie pratique, doctorat en counselling et spiritualité.


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Lexpress

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