Mala Chetty, ex-présidente du National Women Entrepreneur Council : «Ce qui fait défaut, c’est l’absence d’un partenariat entre le secteur public et le privé»

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Notre invitée dresse un bilan peu flatteur de l’état de santé des petites et moyennes entreprises. « On a échoué à créer une culture d’entrepreneuriat  », fait-elle valoir, après avoir noté un double échec : celui de bâtir une communauté de femmes entrepreneures et de promouvoir des produits Made in Mauritius. 

L’année 2019 verra la fin du mandat de l’Alliance Lepep, qui s’était engagée à faire du secteur des Petites et moyennes entreprises (PME) un pilier économique de Maurice. A-t-elle réussi ?
Le bilan est très mitigé. En fait, je vois plus de fermetures d’usines, qui employaient en majeure partie des femmes aujourd’hui au chômage et sans réelle possibilité de lancer leurs entreprises. Pourquoi les femmes ? Parce que le secteur des PME s’était fixé un double objectif : bâtir une communauté de femmes entrepreneures et promouvoir des produits Made in Mauritius. Nous avons raté les deux, qui étaient étroitement liés. Toutes les mesures et entreprises mises en place n’ont pas décollé et là où le bât blesse, c’est qu’on a échoué à créer une culture d’entrepreneuriat. Les entrepreneuses attendaient un soutien et un accompagnement constant de la part du gouvernement. 

Mais vous n’êtes pas sans savoir que les collèges ont le Business Studies dans le cursus. Ne faut-il pas attendre quelques années encore?
Ça, c’est la partie théorique. Or, il faut un véritable cadre et une culture dans la pratique, avec pour objectif d’accueillir des jeunes en stage. Mais, ce lien manque car les entrepreneurs travaillent chacun dans sa bulle, il n’y a aucune connexion entre eux. Ce qui fait surtout défaut, c’est l’absence d’un partenariat entre le secteur public et le privé. Quant à attendre, c’est risqué, car  l’économie est devenue très volatile et sans garantie.

Qui devrait prendre cette initiative de partenariat?
Je pense que les deux parties devraient se mettre autour d’une table pour réfléchir et dégager une stratégie nationale, avec la prise en compte de certains facteurs saillants dans ce secteur, dont la taille des PME, le business model, leur raison sociale, la taille du marché domestique et leur mode de financement, entre autres.

Pourtant, le secteur des PME a fait l’objet d’un engagement dans le programme de l’Alliance Lepep, dans lequel il était question de création de SME Parks…
C’était une promesse louable, mais sans véritable stratégie et dépourvue de moyens adéquats pour sa mise en œuvre. Ce qui devrait être une grande cause nationale, mobilisant plusieurs ministères, des institutions publiques, des collectivités locales et le secteur privé, est resté un secteur moyen. Certes, je reconnais au ministère de tutelle une réelle volonté de dynamiser ce secteur mais, à lui-seul, il  manque de moyens pour relever ce défi de taille. En cours de route, je note que ce secteur a péché par une stratégie sur le long terme. 

Qu’est-ce qui a concrètement manqué ?
J’ai toujours plaidé pour la mise sur pied d’un observatoire des PME, qui regrouperait toutes les parties concernées par l’avenir de ce secteur. Je maintiens toujours cette idée qui dégagerait une stratégie cohérente à partir de grands axes d’orientation. On ne peut pas aller dans tous les sens, organiser des foires par à-coups. À ce jour, on note à quel point l’absence des espaces d’exposition-ventes régionales pénalise les femmes entrepreneures. Il existe pourtant des femmes ambitieuses à Maurice, qui ne demandent qu’à travailler à leur compte, d’autant que Maurice leur offre un marché potentiel.

On reproche souvent à certaines femmes de se copier, jusqu’à saturer ce marché auquel vous faites allusion…
Ce problème existe et c’est la raison pour laquelle je plaide pour la mise sur pied de cet observatoire, un espace qui permettrait d’identifier, entre autres, les obstacles auxquels les PME font face, dont cette problématique de mimétisme. À cela, il faut répondre par la formation des entrepreneurs, dont ceux qui ont une idée et à laquelle, il faut donner de la substance. Puis, il faut une fois pour toute réduire les obstacles administratifs qui posent de véritables entraves au démarrage des PME. 

Ce qui devrait être une grande cause nationale, mobilisant plusieurs ministères, des institutions publiques, des collectivités locales et le secteur privé, est resté un secteur moyen.”

Mais, il faut tout de même un minimum de procédures, dont des garanties de fiabilité, de trésorerie…
J’en conviens mais ce n’est pas aux petits entrepreneurs de perdre leur temps avec ces étapes certes nécessaires, c’est à l’État de s’en occuper, de jouer les facilitateurs. On en revient aux discours politiciens qui ont fait croire que tout peut se résoudre, dont l’accès sans limite aux crédits, et en peu de temps. Lorsqu’on fait de telles promesses, cela crée logiquement des attentes, puis des frustrations.

Certains groupes hôteliers, et non des moindres, soutiennent des femmes entrepreneures, on ne peut pas leur reprocher de rester inactifs…
Mais, la problématique est nationale. Si le secteur échoue, il ne manquera pas d’avoir un impact sur le pays, avec à la clé une véritable crise sociale d’ampleur nationale car la femme aussi contribue au budget familial. Je suis d’accord avec la démarche de certains hôtels mais le secteur doit apporter sa contribution au niveau national. 

Les PME reprochent à l’État de laisser les portes grandes ouvertes aux produits chinois. Ont-elles raison ?
Certainement. D’un coté, on tient un discours officiel en faveur du « achetez mauricien », de l’autre, les douanes laissent entrer des containers entiers de produits artisanaux mauriciens fabriqués en Chine. Il faut que le gouvernement soit cohérent en passant une législation en faveur de l’exception mauricienne, comme ça existe dans certains pays, en sachant aussi que Maurice est signataire des accords de libre échange dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Cela dit, il faut en même temps plus de visibilité aux produits mauriciens, car on sait qu’ils sont de très bonne qualité, notamment dans le secteur textile-habillement.

On met l’accent sur la créativité. Est-ce que le système scolaire mauricien, tel qu’il est actuellement, la favorise-t-il ?
Dans certaines institutions secondaires privées, l’accent est mis sur la réalisation de l’individu et l’ensemble de ses aptitudes cognitives et non pas le seul succès académique où devenir lauréat serait l’étape suprême. Je pense qu’un jeune qui se destine à l’entrepreneuriat doit à la fois réussir son parcours académique et forger ses aptitudes professionnelles, ses qualités artistiques, entre autre. Cela dit, je peux comprendre l’attitude de certains parents qui attendent de leurs enfants qu’ils réussissent leur parcours académique comme priorité, dans une économie où les diplômes sont indispensables pour obtenir un emploi. Mais cela ne signifie pas qu’on peut sécuriser son emploi ni obtenir un salaire décent. De nos jours, un bon marchand de dhollpuri ou de halim s’en tire plus que bien car il sait qu’il est à son compte et c’est à lui de faire les efforts et les sacrifices.  

L’Afrique peut-elle être une porte de sortie pour des produits des PME mauriciennes ?
Bien sûr, car dans certaines filières, dont le textile-habillement, celle des services financiers, la bonne gouvernance, la communication, nous avons acquis le savoir-faire, et nous sommes régulièrement bien notés, sans oublier notre avantage d’être bilingues, nous pouvons donc bâtir sur ces acquis. Mais, il faut explorer davantage le marché africain qui est, selon les pays, très complexe. Il faut des études de marché pointues dans des pays potentiels afin d’identifier leurs attentes mais aussi la concurrence. Enfin, il faut plus de visibilité pour nos produits et pour y arriver, il nous faut être présents sur ces marchés.

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Defi Media

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