Du Cameroun à la Centrafrique, le voyage retour des réfugiés

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Les trois bus du convoi de réfugiés centrafricains, au camp de Gado-Badzéré, au Cameroun, le 23 octobre 2019.
Les trois bus du convoi de réfugiés centrafricains, au camp de Gado-Badzéré, au Cameroun, le 23 octobre 2019. Josiane Kouagheu

« Au revoir », « à bientôt », « ne m’oublie pas »… Mercredi 23 octobre, au camp de Gado-Badzéré, dans l’est du Cameroun, une nuée d’hommes, de femmes et d’enfants agitent leurs mains en signe d’adieu. Des larmes coulent quand le convoi, à bord duquel Le Monde Afrique a embarqué, commence à s’éloigner en direction de la frontière avec la Centrafrique.

« J’ai vécu six ans ici. On mangeait ensemble, on passait nos journées ensemble. La séparation est douloureuse », sanglote Pascal Okonkwo, le visage collé à la vitre d’un des trois bus de réfugiés. Autour de lui, les passagers se sont levés pour un dernier signe ; les chauffeurs roulent au pas vers la sortie du camp. « Ça fait très mal de partir, mais je suis heureux de rentrer au pays », glisse Djibril Souleymane, 31 ans, assis près de son épouse et ses deux enfants.

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Ils sont 223 Centrafricains du camp de Gado-Badzéré à avoir choisi de rentrer. Au même moment, 187 autres quittaient le camp de Lolo, toujours dans l’est du Cameroun. Ces 410 départs font suite à l’accord tripartite signé le 29 juin entre Yaoundé, Bangui et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Après quelques campagnes de sensibilisation et des réunions organisées dans les camps, 6 350 Centrafricains, sur les plus de 280 000 qui sont réfugiés au Cameroun, se sont enregistrés. Le HCR prévoit d’en rapatrier 4 000 en 2019 et espère avoir dépassé les 25 000 l’année d’après.

Joie du retour et peur de l’inconnu

Djibril Souleymane, lui, n’a pas hésité un instant. Cela fait des mois qu’il rêve de « fouler la terre et humer l’air » de chez lui. Comme les autres, il a fui la troisième guerre civile de Centrafrique, en 2013, entre milices à majorité musulmane (la Séléka) et chrétienne (les anti-balaka). Ce pêcheur vivait à Boali, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Bangui, la capitale, quand les violences ont éclaté.

C’était un vendredi de septembre 2014. Djibril préparait ses filets lorsqu’il a entendu les tirs, les cris, les pleurs. Caché dans la brousse, il a vu les anti-balaka brûler sa maison. « Ils ont tué 33 personnes, dont mon père, qu’ils ont découpées en morceaux comme de la viande », raconte-t-il, les yeux baissés. Djibril se réfugie durant trois mois dans une église, avant de partir vers le Cameroun. Abdou, petit garçon joufflu de 9 mois blotti dans les bras de sa femme, et Koulsoumi, 4 ans, verront le jour au camp de Gado-Badzéré.

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Dans le bus, les agents de la Croix-Rouge distribuent des médicaments contre la migraine, car Djibril n’est pas le seul à se battre pour chasser les douloureux souvenirs qui reviennent. Sur les visages, les émotions se succèdent : peur de l’inconnu, joie du retour, espoir de retrouver des proches… « Je me pose de nombreuses questions », avoue le pêcheur en croisant nerveusement ses doigts.

Trois rangs plus loin, Souleymane, 17 ans, n’est lui aussi qu’interrogations. « Je me demande comment sera mon pays. Notre maison sera-t-elle habitée par d’autres ? Mes amis sont-ils morts ? Est-ce que la guerre a tout détruit ? » Assis entre son oncle et son petit frère, Mamoudou, 18 ans, s’inquiète du sort de son école, de son maître, de ses champs… Les deux adolescents ont quitté leur pays « comme des bandits », disent-ils. Surpris à l’école par les violences, ils ont marché jour et nuit jusqu’à arriver au Cameroun.

« Ici, il n’y avait pas d’avenir »

Kouassi Lazare Etien, le représentant du HCR au Cameroun, se veut rassurant. La mise en œuvre progressive du processus de paix engagé en Centrafrique après l’accord de Khartoum signé le 6 février entre le gouvernement et quatorze groupes armés offre « une stabilité qui encourage certaines familles de réfugiés à opter pour la solution durable qu’est le rapatriement volontaire librement consenti », avance-t-il. Mais dans le bus, certains appellent des proches pour savoir « s’il y a vraiment la paix ». D’autres, à l’instar de Djibril, préfèrent se convaincre que « de toute façon, là-bas on sera bien et [qu’] ici, il n’y avait pas d’avenir ».

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La vie dans le camp était effectivement devenue difficile. La crise humanitaire multiforme que traverse le Cameroun, avec la guerre contre Boko Haram dans l’extrême-nord, les réfugiés centrafricains dans l’est et le conflit dans les deux régions anglophones de l’ouest, est très peu financée. Alors dans les camps de réfugiés, seuls les plus vulnérables percevaient encore une aide.

Aujourd’hui, tous débordent de projets. C’est la pâtisserie pour Pascal, l’élevage bovin pour son voisin et le commerce pour la femme d’en face, ses deux poules sur les genoux. Les espoirs se tournent aussi vers le gouvernement centrafricain, le HCR et ses partenaires, même si l’aide promise reste encore floue et si le département communication du bureau de Bangui n’a pas donné suite aux questions du Monde Afrique.

« On pardonnera sans oublier »

Alors que se profile la frontière, un silence de mort s’installe dans le bus. Les regards dévorent le paysage, comme pour le graver sur les rétines. « Je suis enfin de retour. Ici c’est chez moi ! », s’exclame Djibril. Son épouse serre, à l’étouffer, le petit Abdou dans ses bras, alors qu’un voisin pleure silencieusement.

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Les réfugiés passeront quelques jours à Beloko, juste après la frontière, avant de poursuivre vers leurs localités respectives. David Ngboko Barbou, le maire de Baboua, à une quarantaine de kilomètes, est venu les recevoir, tout sourire. Sa commune accueille déjà de nombreux déplacés, mais il est prêt à continuer. « Nous sommes solidaires, plaide-t-il. Que ce soit un lopin de terre, une chambre ou un morceau de pain, on partagera comme on l’a déjà fait. »

A l’heure de la prière, sur les nattes étalées à même le sol, les désormais ex-réfugiés remercient « Allah » de les avoir ramenés « à la maison ». Et si demain ils rencontrent leurs bourreaux, « on pardonnera sans oublier », assure Souleymane : « C’est ensemble que nous devons reconstruire la Centrafrique. » Une phrase empreinte de sagesse à laquelle les autres acquiescent volontiers.

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