Le Parlement européen a-t-il « réécrit l’Histoire » de la seconde guerre mondiale ?

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Le Parlement européen est accusé de « réécriture de l’Histoire » depuis l’adoption, le 19 septembre, d’une résolution sur « l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe ». « Déshonneur », « révisionnisme historique », « manipulation »… Ce texte, qui évoque principalement les crimes commis sous les régimes nazi et soviétique, a été vivement critiqué ces dernières semaines. Procède-t-il pour autant à des inexactitudes ou falsifications historiques ?

Ce que dit le texte

L’objet de cette polémique est une résolution sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe, votée le 19 septembre et consultable ici. Elle a été largement adoptée (535 voix pour, 66 contre, 52 abstentions) par les eurodéputés de divers bords, du Parti populaire européen aux Verts, en passant par les sociaux-démocrates et le groupe de centre droit Renew Europe.

Cette résolution a été rédigée à l’occasion du 80e anniversaire du début de la Seconde guerre mondiale en 2019. Elle aborde principalement le conflit par le prisme de ses victimes européennes. Dans sa formulation, le texte évoque les « régimes totalitaires », c’est-à-dire « les dictatures communistes, nazie et d’autres ». Il appelle à la commémoration des victimes de ces régimes, à « la reconnaissance et la prise de conscience des séquelles, communes à toute l’Europe, laissées par [leurs] crimes ».

Le pacte germano-soviétique, également connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop, y est évoqué à plusieurs reprises. Cet accord diplomatique et militaire, signé le 23 août 1939 à Moscou entre l’Allemagne nazie et l’URSS, est un pacte de non-agression entre les deux puissances, mais pas seulement : le pacte, dans les protocoles secrets, prévoyait également de se partager l’Europe de l’Est. Pour le Parlement européen, « la seconde guerre mondiale, conflit le plus dévastateur de l’histoire de l’Europe, a été déclenchée comme conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non-agression germano-soviétique ».

Qu’en disent les critiques ?

Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre du texte adopté par les eurodéputés. Tout d’abord, le fait qu’il vise à « mettre un trait d’égalité entre communisme et nazisme », a dénoncé le 26 septembre, le directeur du journal L’Humanité, Patrick Le Hyaric, dans un éditorial.

« Une bouillie antirusse »

L’ancien eurodéputé communiste s’insurge également contre le fait que la signature du pacte germano-soviétique en 1939 y soit « obsessionnellement désignée comme cause principale du déclenchement de la seconde guerre mondiale ». Un « grossier raccourci historique » et une « bouillie antirusse » qui passe sous silence, selon lui, « tout le faisceau de causes mobilisées par des générations d’historiens pour tenter d’expliquer le déclenchement de la seconde guerre mondiale ».

Au-delà des contestations factuelles, c’est plus largement l’idée que le Parlement européen se penche sur l’Histoire qui est en cause. « Non à une Histoire officielle », s’indigne ainsi un collectif d’académiques, d’intellectuels et d’artistes dans La Libre Belgique. Selon eux, « les historiens doivent pouvoir poursuivre leurs recherches à l’abri de toute intimidation politique ». La polémique s’est ensuite propagée sur des sites pro-russes notamment et sur les réseaux sociaux.

Ni falsification, ni révisionnisme

La résolution du Parlement européen procède-t-elle, dans sa formulation, à des falsifications historiques quant aux origines de la Seconde guerre mondiale ? Pour l’historienne Annette Wieviorka, directrice de recherche émérite au CNRS, interrogée par Le Monde, il est évident que la Seconde guerre mondiale est le fruit de « tout un tas de causes profondes » : la fin de la guerre de 1914-1918 qui « ne règle rien », la crise économique, les renoncements occidentaux successifs…

Pour autant, « le pacte germano-soviétique lève une hypothèque et tout le monde sait à son annonce que ce sera la guerre », même si cette dernière était prévisible depuis des années tant l’Europe était une poudrière à l’époque. La résolution européenne se fonde donc bien sur une « toute petite réalité factuelle », selon Mme Wievorka.

Plus largement, ce texte « n’est pas neutre, mais ce n’est ni faux, ni révisionniste », estime pour sa part Sophie Cœuré, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris Diderot :

« Si l’on regarde la chronologie courte, le pacte Molotov-Ribbentrop signé le 23 août 1939 permet bien à Hitler d’envahir la Pologne le 1er septembre, ce qui déclenche la guerre. »

Des « ambiguïtés » et des objectifs politiques

Les deux historiennes n’en jugent pas moins le texte du Parlement européen critiquable sur le fond. « Il est ambigu, car il ne prend pas le soin de dire que ce n’est pas aux parlementaires d’écrire l’Histoire », ajoute Sophie Cœuré. Pour elles, il pèche également par manque de contexte historique, tant sur les racines du conflit que sur le rôle joué par la suite par l’Union soviétique dans la chute du régime nazi ou le prix qu’elle a payé dans le conflit.

« Le point de contact de deux mémoires »

De même, certaines critiques reprochent aux eurodéputés de vouloir induire une équivalence entre l’Allemagne nazie et le pouvoir stalinien. L’emploi du terme « totalitaire » pour qualifier les deux régimes est justifié mais, s’« il est évident que les régimes ont des points communs, on ne peut pas dire pour autant qu’ils sont jumeaux », nuance Annette Wieviorka. 

Pour Sophie Cœuré, le texte ne vise pas à comparer nazisme et stalinisme. Son intention première est bien de rendre hommage aux victimes de la Seconde guerre mondiale et à appeler à un travail de mémoire pour réconcilier les deux parties de l’Europe. La mémoire de l’Ouest, notamment en France, prend moins en compte les crimes du régime stalinien.

« Le pacte germano-soviétique est le point de contact de deux mémoires. L’Est a dû à la fois reconnaître la Shoah et travailler sur le caractère criminel du régime soviétique. »

Si les eurodéputés ont largement voté ce texte en septembre, il est intéressant de noter qu’il émanait principalement d’élus de pays de l’Est. A l’inverse, aucun eurodéputé français ne figure parmi ses dépositaires. Interrogés par Le Monde sur leur vote en faveur de la résolution, les eurodéputés François-Xavier Bellamy (Les Républicains-PPE), Yannick Jadot (Europe écologie-Les Verts) et Nathalie Loiseau (La République en marche-Renew) n’ont pas répondu à nos sollicitations.

Au fond, le texte du Parlement européen « n’est pas spécialement intéressant pour un historien, estime Sophie Cœuré. Mais c’est intéressant de voir comment se construit la mémoire européenne sur ces sujets, en essayant de faire une couture entre les différentes mémoires de la guerre. »

Comment Moscou tente de réhabiliter le pacte

La porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova, a qualifié le texte d’« amas d’affirmations révisionnistes », estimant que ses affirmations sur le pacte germano-soviétique n’ont « aucun rapport avec les faits historiques ».

Pourtant, en 2009, Vladimir Poutine avait jugé « les pactes conclus avec les nazis entre 1934 et 1939 de “moralement inacceptables” », visant à la fois l’accord Molotov-Ribbentrop, mais aussi le pacte de non-agression signé entre la Pologne et l’Allemagne en 1934 et les accords de Munich signés en 1938 entre la France, le Royaume-Uni et le régime nazi. Mais la ligne officielle du Kremlin s’est clairement durcie depuis. En 2015, par exemple, le président russe justifiait la signature de l’accord en ces termes :

« Lorsque l’URSS a réalisé qu’on l’avait laissée toute seule face à l’Allemagne de Hitler, [Staline] a pris des mesures visant à éviter un affrontement direct, et le pacte Molotov-Ribbentrop a été signé. »

Une ligne développée encore début septembre par le représentant spécial du président Russe, Sergueï Ivanov, auprès de Sputniknews.com.

« Le pacte n’avait pas seulement vocation à gagner du temps »

Le pacte n’avait-il que vocation à « gagner du temps » côté soviétique ? « Plus aucun historien sérieux ne dit cela aujourd’hui », tranche Annette Wieviorka. Sophie Cœuré abonde :

« Pour Staline, c’est aussi l’occasion de gagner des territoires, avec des massacres et des déportations de masse par les services soviétiques dès l’été 1939. »

Quoi qu’on pense du texte voté par les eurodéputés, c’est dans ce contexte qu’il s’inscrit, rappelle l’historienne. C’est bien la propension actuelle de Moscou à justifier le pacte Molotov-Ribbentrop et son protocole secret ainsi que sa tendance à réhabiliter le régime stalinien, foulant au passage les faits historiques, qui font frémir les pays qui ont été victimes du régime soviétique. D’où le fait qu’il appelle les anciens pays communistes à faire un travail de mémoire et d’Histoire et « vise clairement la Russie, à raison », sur ce terrain, selon elle.

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