Azouaou Hamou Lhadj, d’octobre 1988 au Hirak, une vie de militant algérien

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Azouaou Hamou Lhadj lors des émeutes du 10 octobre 1988 à Alger.
Azouaou Hamou Lhadj lors des émeutes du 10 octobre 1988 à Alger. DR

C’était il y a trente et un ans et Azouaou Hamou Lhadj n’a rien oublié. Ce 10 octobre 1988, l’Algérie est depuis cinq jours en proie à de violentes émeutes. La contestation, provoquée par des pénuries et une flambée des prix, s’est étendue à des revendications politiques. Lui a alors 21 ans et sort protester contre le régime comme de nombreux jeunes. La manifestation sera la plus violemment réprimée de cette période : blessé par des tirs de militaires, il perd son bras gauche ; l’une de ses amies meurt après avoir reçu une balle en pleine tête. Et combien d’autres ? Ce jour-là, près du siège de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) à Alger, 159 personnes sont mortes selon les autorités, près de 500 selon d’autres sources, notamment hospitalières.

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« Ce jeudi 10 octobre, ils seront deux policiers à m’attendre pour m’escorter discrètement jusqu’au siège de la DGSN, au centre d’Alger, afin que je puisse y déposer ma gerbe de fleurs en l’honneur des victimes d’octobre 1988. Je suis fatigué et malade, ils ne voudraient pas qu’il m’arrive quelque chose sur la route », explique non sans ironie Azouaou Hamou Lhadj, membre de l’Association nationale des victimes et familles de victimes d’Octobre 88 (Avo 88).

« Comment oublier tous ces martyrs ? »

Aujourd’hui âgé de 52 ans, l’homme est affaibli par un AVC, mais il reste une figure du militantisme en Algérie et de ce mouvement d’octobre 1988, période d’ouverture démocratique sans précédent avant que le pays ne sombre dans la décennie noire. Cet anniversaire a d’ailleurs un goût particulier. Il a lieu alors que, pour la trente-troisième semaine d’affilée, l’Algérie vit au rythme du « Hirak » : ce mouvement à travers lequel les Algériens ont obtenu la chute du président Bouteflika et continuent de réclamer la fin du régime politique actuel. Azouaou n’a manqué aucun vendredi de manifestation, échappant aux arrestations. « Quand ils ne me voient pas, ce sont les policiers qui demandent après moi », jure-t-il.

Lecteur assidu de l’organe de presse clandestin du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), militant de la cause culturelle berbère, puis encarté au Rassemblement culturel pour la démocratie, l’un des rares partis prônant la laïcité, il était prédestiné, à l’en croire, à lutter pour une Algérie libre. « Je viens d’une famille de combattants de l’indépendance et mon voisin à Michelet, mon village d’origine, en Kabylie, était Tahar Djaout [écrivain assassiné en 1993 lors d’un attentat islamiste]. A Reghaïa, en banlieue d’Alger, j’étais le voisin et l’ami de Mohamed Benchicou, le patron du journal Le Matin. Comment aurais-je pu me défiler ? », demande ce natif de la Casbah d’Alger, barbe hirsute, à sa façon théâtrale, en montant dans les aigus.

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Artisan bijoutier en 1988, Azouaou doit renoncer à son métier après la perte de son bras et devient employé de bureau au sein de la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF). Son matériel de joaillier, il l’a rangé dans un ancien fût de mazout, à l’abri du temps. Cette préservation de la mémoire est devenue chez lui un trait de caractère. Presque chaque rue d’Alger porte le souvenir d’un assassinat commis par les terroristes islamistes dans les années 1990, symbole de l’échec de l’ouverture démocratique de 1988. Quant aux figures de la guerre de libération contre la France, qui ont donné leur nom aux rues de la capitale, elles le ramènent à une autre occasion ratée de construire un Etat de droit, la toute première, lorsque les militaires ont pris le dessus sur les politiques à l’indépendance, en 1962.

Azouaou cite aussi la révolte de 2001 en Kabylie, rapidement circonscrite à cette région, alors que ses mots d’ordre contre le régime étaient nationaux. « Un ami me dit que je devrais supprimer le rétroviseur, sourit-il, mais comment oublier tous ces martyrs ? » La répression du printemps noir de 2001 (127 morts) avait signé, jusqu’à février dernier, la fin des mouvements de contestation massifs, le régime enfermant les citoyens dans une sorte de contrat de rente : subventions, logements, prêts à la création d’entreprises… contre paix sociale. « Si seulement les Algérois avaient rejoint ce mouvement… Il a fallu dix-huit ans pour qu’ils se réveillent », laisse échapper, amer, Azouaou, lui qui avait manifesté en 2014 contre un quatrième mandat de Bouteflika avec une poignée de téméraires, facilement maîtrisés par la police.

« Un discours de vérité »

L’histoire peut-elle se répéter ? Depuis le mois d’août, les autorités, au premier rang desquelles l’état-major de l’armée, appuyées par une partie de l’appareil judiciaire, tentent de reprendre en main le Hirak, à coups d’arrestations arbitraires de manifestants et de militants. Il n’en est pas surpris. « Ce régime ne semble comprendre que la force », avait-il prévenu dès le mois de mars. Il veut pourtant trouver un espoir dans la « silmiya », le caractère pacifique que les contestataires sont parvenus à maintenir depuis bientôt huit mois et qui est pour eux leur seule chance de l’emporter.

« Cette occasion de construire une Algérie libre ne se représentera pas avant longtemps », estime-t-il. C’est pourquoi il souhaite la corréler à l’émergence d’« un discours de vérité » sur l’histoire contemporaine de l’Algérie, afin que cet Etat puisse être bâti sur une base saine. « Ce sont des Frères musulmans qui m’ont transporté lorsque j’ai été blessé en 1988. Je les déteste, mais pourquoi ne pas le reconnaître ? », prend-t-il en exemple. De la même façon, il n’hésite pas à affirmer qu’il communique avec Khaled Nezzar, ex-général de cette armée qui a tiré sur lui en 1988. « Deux tirs sont partis de la manifestation organisée par le Front islamique du salut (FIS), auxquels les militaires, qui n’étaient pas formés pour le maintien de l’ordre et ne disposaient pas d’armes non létales, ont répondu », développe-t-il. Il n’absout pas pour autant le régime, qui a pratiqué la torture, ni le général, dont les hommes ont bien tiré sur les manifestants, au thorax et à la tête, et pas en visant le sol, comme l’officier l’assure.

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S’il avoue avoir vécu des moments difficiles après son amputation, il dit n’avoir jamais songé à quitter son pays et n’en veut pas non plus à son fils, parti il y a deux ans, sans prévenir, vers l’Europe, sur un rafiot. « Voilà deux ans, des journalistes m’ont demandé ce que je garderais si je pouvais choisir entre le bras que j’ai perdu et l’Algérie. J’ai répondu mon bras. Mais depuis février, j’avoue avoir repris espoir. C’était inimaginable de voir les plus petites villes du pays manifester contre le pouvoir. Démocrates, barbus, jeunes, vieux… le Hirak réunit tout le monde ! Tu as vu le nombre de femmes présentent lors de ces marches ? », interroge-t-il, presque incrédule.

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