Au Maroc, les médiateurs thérapeutiques sont un maillon essentiel de la lutte contre le VIH

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Un centre de dépistage du sida à Salé, au nord de la capitale marocaine Rabat, en mars 2013.
Un centre de dépistage du sida à Salé, au nord de la capitale marocaine Rabat, en mars 2013. FADEL SENNA / AFP

Khadija* prend une grande inspiration avant de se lancer. « J’ai appris en 2012 que j’avais transmis ma séropositivité à mon fils », commence-t-elle. Autour d’une table, douze personnes vivant avec le VIH partagent leur expérience dans la confidentialité, le temps d’une séance animée par une psychologue et une médiatrice thérapeutique de l’Association de lutte contre le sida (ALCS) de Casablanca.

Pendant des années, Khadija a raconté à son fils que ses médicaments quotidiens le soignaient d’un diabète. Mais il y a quelques mois, elle a enfin osé lui dire la vérité. « Je n’aurais jamais réussi sans l’aide de la médiatrice thérapeutique, témoigne-t-elle. Maintenant, à 15 ans, mon fils est devenu plus responsable. » Alors qu’une autre mère n’a toujours pas eu le courage de dire au sien qu’il porte le VIH, la psychologue rappelle que les médiateurs thérapeutiques sont justement présents pour « réfléchir à ces questions difficiles ».

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Au Maroc, 75 % des 21 000 personnes estimées séropositives connaissent leur statut, contre 86 % en France. Et les nouvelles infections ont baissé de 42 % depuis 2010. « Le royaume est une référence et une exception dans la région. Très tôt, il a développé une riposte complète à l’échelle nationale grâce aux financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme », estime Kamal Alami, président d’Onusida au Maroc.

Dans une vingtaine de villes

Les médiateurs thérapeutiques, volontaires de l’ALCS et indemnisés grâce au Fonds mondial, sont l’un des facteurs de cette réussite. Ils sont trente-six répartis dans une vingtaine de villes, entre les sections de l’association et les hôpitaux publics. Leur rôle : accompagner les personnes vivant avec le VIH, ainsi que leurs proches, afin de s’assurer d’une bonne prise du traitement et les aider psychologiquement et socialement. Il s’agit de ne pas perdre de vue les patients et de maintenir une charge virale indétectable. « Nous sommes les seuls à apporter cette aide complémentaire. Nous les accompagnons dans les moments clés de leur vie, quand ils veulent avoir un enfant et ne pas le contaminer », détaille Fatiha Lhoufrani, médiatrice depuis une dizaine d’années.

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A côté du service des maladies infectieuses de Casablanca, quatre médiateurs ont leur bureau ouvert. Une femme en djellaba verte entre. Elle vient d’être dépistée séropositive. « On l’aide dans les démarches administratives », commente Meriem, médiatrice. Derrière elle, des dessins de bisous, de hammam ou de coiffeur sont affichés, avec l’inscription : « Le VIH ne se transmet pas de cette manière. » Dix à quinze personnes passent ici chaque jour, sur les 3 500 patients suivis dans le service.

Abdelkader* est médiateur depuis 2014. Lui-même atteint du VIH, il discute facilement avec les patients. « La plupart refuse de partager leur séropositivité avec leurs proches, de peur de la stigmatisation. Cette infection reste taboue car elle touche à la sexualité », témoigne le jeune homme en blouse blanche, petite barbe et boucle d’oreille. « Des patients cachent leurs médicaments, gardent les stocks chez nous et jettent les emballages avant même de sortir de l’hôpital », raconte-t-il.

Une architecture de soins menacée

Pour le chef du service d’infectiologie à l’hôpital public Ibn Rochd de Casablanca, le professeur Kamal Marhoum El Filali, le rôle de ces médiateurs est primordial. « Nous, médecins, n’avons pas le temps de tout expliquer, comme les effets secondaires. Il faut en parler pour que le patient soit préparé et n’arrête pas son traitement, précise-t-il. Le médiateur thérapeutique nous a permis de constater une meilleure observance. »

Pourtant, cette architecture de soins semble menacée : le Maroc craint de voir partir le Fonds mondial qui multiplie les signaux en ce sens. De fait, l’organisation internationale considère que ce pays « à revenus intermédiaires », c’est-à-dire qui n’est ni pauvre ni riche, a déjà beaucoup évolué et pourrait, à plus ou moins brève échéance, continuer de façon autonome. « Pourtant, 70 % des personnes vivant avec le VIH sont dans ces pays à revenus intermédiaires », s’alarme Hakima Himmich, professeure infectiologue, fondatrice de l’ALCS dès la détection du premier cas de VIH au Maroc. Selon elle, l’Etat marocain n’a pas encore les moyens d’être indépendant.

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Lors de la dernière levée de fonds en 2016, les sommes allouées par le Fonds mondial avaient déjà baissé de 30 %, passant à 13 millions de dollars (11,8 millions d’euros) pour la période 2018-2020. Boutaina El Omari, coordinatrice de l’unité de gestion du Fonds mondial au Maroc, est inquiète. Les programmes ciblant des populations vulnérables comme les jeunes ou les ouvrières ont déjà été supprimés : « Nous sommes au bord de l’asphyxie. Nous ne pourrons pas couper davantage dans nos programmes. »

Financer les traitements antirétroviraux

Un cri d’alarme lancé alors qu’Emmanuel Macron va accueillir la prochaine conférence du Fonds mondial à Lyon les 9 et 10 octobre. A cette occasion, 14 milliards de dollars (12,8 milliards d’euros) doivent être levés auprès de la communauté internationale. Une somme inférieure d’un milliard de dollars aux contributions récoltées en 2016, insuffisante selon les militants.

« La France doit augmenter de 25 % sa contribution par rapport à 2016, pour monter à 450 millions d’euros annuels sur trois ans », demande Hakima Himmich, qui compte sur « ce pays leader en matière de recherche contre le sida ». En 1997, Jacques Chirac avait demandé la participation des pays riches au financement des traitements antirétroviraux (ARV) des pays en développement. C’est à la suite de ce discours d’Abidjan que le Fonds mondial a été créé. A partir de son arrivée au Maroc, en 2003, l’épidémie a commencé à reculer.

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Depuis, c’est le ministère de la santé qui prend en charge 99 % des ARV. « Mais si le Fonds mondial part, nous craignons les ruptures de stock car c’est lui qui a la flexibilité pour répondre aux urgences », s’inquiète le professeur Marhoum El Filali. L’autre inquiétude, c’est l’abandon de l’accompagnement. « Le traitement, ce n’est pas seulement le médicament, c’est aussi l’éducation thérapeutique, qui casse la chaîne de transmission », prévient Hakima El Himmich. Elle évoque la distribution de préservatifs gratuits et les dépistages sur le terrain. Des programmes qui « ne seront pas la priorité du ministère de la santé », anticipe-t-elle, pessimiste.

*Les prénoms ont été modifiés.

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