En Centrafrique, le secteur forestier relève doucement la tête

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Commerces, habitations, bâtiments publics... Tout à Mambélé est construit en bois. Ici, en septembre 2019.
Commerces, habitations, bâtiments publics… Tout à Mambélé est construit en bois. Ici, en septembre 2019. GAËL GRILHOT

Au bout d’une interminable piste qui court dans le sud-ouest centrafricain, Mambélé se découvre soudainement, au sortir de la forêt. Une ville-champignon de 22 000 habitants a poussé là où il n’existait il y a vingt-cinq ans qu’un campement de chasse. Mambélé est née de l’activité forestière. Et ça se voit. Stades, habitations, centres de santé : ici, tout est en bois. De l’ayous. Ce bois blanc et tendre, qui prend des teintes grises avec le temps, est l’une des principales essences exploitées dans cette région recouverte de forêts denses et humides où se concentre la dizaine de sociétés forestières étrangères dotées de concessions industrielles.

La forêt couvre 23 millions d’hectares, soit près de 40 % du pays. Mais seuls 4 millions d’hectares, dans les zones exploitables, sont attribués en concessions. « La contribution du secteur forestier au PIB [produit intérieur brut] est en temps normal de 10 %, explique Albert Gandoko, le directeur général du ministère des eaux, forêts, chasse et pêche. C’est le premier employeur privé du pays. »

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Depuis la crise de 2013, qui a vu un conflit long et meurtrier opposer le gouvernement et de nombreux groupes armés, c’est même la seule activité économique formelle d’envergure qui a survécu. Elle s’affiche même en bonne santé, avec plus de 330 000 m3 de grumes exportés en 2018, et des perspectives en hausse pour 2019 et 2020.

Installée à Mambélé, la Société d’exploitation forestière centrafricaine (Sefca) est avec ses 700 000 hectares de concessions l’un des plus gros acteurs de la filière. En 2015, la société, propriété de deux hommes d’affaires libanais, a été gravement mise en cause dans un rapport de l’ONG Global Witness, qui l’accusait, avec d’autres compagnies, de collusion avec les groupes armés Séléka dont le chef, Michel Djotodia, était alors au pouvoir. Depuis, la compagnie, qui souhaite exporter vers l’Europe, cherche à redorer son image en obtenant le label Origine et légalité du bois (OLB), délivré par le bureau certification Véritas.

Un programme de gestion durable des forêts

Le pays s’est engagé depuis le début des années 2000 dans un programme de gestion durable des forêts qui repose sur l’adoption de plan d’aménagement avec une rotation des coupes tous les trente ans. « Toutes les essences ne sont pas recherchées par les industriels, explique Michel Gally, le directeur du Programme de développement de la région Sud-Ouest (PDRSO) en charge de ce projet financé par l’Agence française de développement (AFD). Chaque arbre intéressant est cartographié afin que les industriels puissent dessiner les routes ayant le moins d’impact dans les zones de coupe. Pour le sapelli par exemple [un bois rouge assez dense qui représente plus de 50 % de la production en Centrafrique], seuls deux ou trois pieds à l’hectare sont exploitables. »

Michel Gally admet cependant que l’absence de certification des entreprises est l’un des points faibles du pays : « Aucune n’est certifiée par un organisme fiable. Certaines d’entre elles, qui exportent surtout vers l’Asie, ou d’autres, qui visent uniquement le marché intérieur, n’y ont tout simplement pas intérêt. » L’Etat, dont les moyens sont très faibles, n’est de toute façon pas en mesure de contrôler si les entreprises respectent les plans d’aménagement signés avec l’Agence de gestion durable des ressources financières (AGDRF).

Des ouvriers de la Sefca s’affairent sur une grume d’ayous, à Mambélé, en septembre 2019.
Des ouvriers de la Sefca s’affairent sur une grume d’ayous, à Mambélé, en septembre 2019. GAËL GRILHOT

Les entreprises forestières sont, quoi qu’il en soit, tenues de contribuer au budget des communes situées dans les zones de production. Des taxes dont le montant est calculé sur le volume de bois abattu et la surface exploitée sont acquittées à l’Etat qui en reverse entre 25 % et 30 % aux communes. Mais à côté de ces impôts, des accords sont conclus directement avec les représentants locaux.

A Mambélé, la Sefca a financé le centre de santé, les équipements sportifs et les écoles. « La mise en exploitation d’une nouvelle assiette de coupe donne lieu au préalable à des discussions avec les chefs de villages afin de recueillir leurs doléances », précise Jeremy Cariat, directeur technique de la Sefca, sans nier l’existence de tensions avec les populations locales, « surtout lorsqu’il y a des retards dans les travaux ». Mais elles restent selon lui marginales.

Pour la création de forêts communautaires

Les populations pygmées très présentes dans la région sont cependant loin d’y avoir trouvé leur compte. A Mambélé, dans le quartier périphérique de Kpéténé, les Bayaka se plaignent de la présence de l’entreprise forestière. Beaucoup doivent désormais partir loin en forêt pour chercher des chenilles, des champignons… dont ils s’alimentent et font commerce. L’exploitation forestière, « ça [nous] dérange beaucoup, explique Tanguy Etienne, un des membres de la communauté. Il y a aussi des chasseurs qui viennent de loin avec des fusils et des pièges. Nous avons de moins en moins de petit gibier. »

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La chasse autre que celle avec des arcs et des flèches est théoriquement interdite dans la zone mais « de nombreux ouvriers forestiers arrondissent leurs fins de mois en chassant massivement », selon Saint-Jérôme Sitamon, le coordonnateur de la Maison de l’enfant et de la femme pygmée (MEFP). Souffrant de discriminations héritées de l’histoire des relations entre Bantous et Bayaka, les Pygmées de Mambélé doivent également supporter certaines privations. « Avant, nous avions suffisamment d’eau. Mais depuis que la ville a grandi, c’est de plus en plus difficile », se plaint ainsi Catherine, l’une des habitantes de Kpéténé.

Même si la Sefca a financé un forage, Catherine affirme que les femmes bayaka qui vont au point d’eau se voient souvent rejetées. La FAO, qui forme les populations locales à l’agroforesterie en Centrafrique, estime qu’il pourrait être possible de mieux intégrer ces communautés autochtones. « A Mambélé, on peut imaginer un programme d’élevage pour le petit bétail qui profiterait aux Bayaka », souligne Arsène Kondayen, coordonnateur de programme pour l’organisation.

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La modification du code forestier en 2008 ouvrant la possibilité de créer des forêts communautaires devait théoriquement permettre de mieux assurer les conditions d’existence des populations dépendant de la forêt. Mais l’attribution de vastes concessions industrielles et l’instabilité politique du pays ont jusqu’à présent fait avorter le projet. Une seule forêt communautaire a été attribuée en mars à titre expérimental dans la Lobaye, dans le sud-ouest du pays. Longtemps jugées incompatibles juridiquement avec les concessions, les forêts communautaires font désormais l’objet d’un terrain d’entente.

« La communauté, dans son plan simple de gestion, ne touchera pas au bois d’œuvre, qui est la propriété de la société forestière. Mais elle pourra exploiter les autres ressources non ligneuses », explique M. Gandoko, le directeur des eaux et forêts, en souhaitant la réussite de la première expérience, pour que le modèle des forêts communautaires puisse s’étendre à l’ensemble du pays.

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