Kaïs Saïed, juriste hyper conservateur, est en tête du premier tour

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Kaïs Saïed est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle tunisienne, le 15 septembre 2019.
Kaïs Saïed est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle tunisienne, le 15 septembre 2019. MOHAMED KHALIL / AFP

« Je n’ai pas de QG de campagne, je suivrai les résultats des élections chez moi ! », a lancé Kaïs Saïed, dimanche 15 septembre, alors que la Tunisie vote pour le premier tour de l’élection présidentielle. L’universitaire sans parti politique est arrivé en tête du premier tour avec 19 % des voix, selon des résultats officiels préliminaires portant sur plus d’un quart des suffrages, a annoncé, lundi, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Selon ces résultats, M. Saïed devance l’homme d’affaires en prison Nabil Karoui (14,9 % des voix), qui est au coude-à-coude avec le candidat du parti d’inspiration islamiste Ennahda, Abdelfattah Mourou (13,1 % des voix).

Candidat surprise, véritable comète politique, Kaïs Saïed est un personnage insaisissable, atypique qui ignore les recettes classiques du combat électoral. Il a ainsi refusé le financement public auquel il avait légalement droit. Il ne dispose pas non plus de parti ou de structure qui l’appuie directement. Les 10 000 dinars (7 500 euros) de caution exigée par l’instance électorale pour déposer une candidature à la présidentielle, il les a collectés au sein de sa famille.

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Agé de 61 ans, Kaïs Saïed a mis à profit le désenchantement général de l’opinion publique vis-à-vis de la classe politique traditionnelle pour capter des soutiens en structurant un discours à la fois hyper conservateur sur les questions sociétales – certains critiques vont jusqu’à le qualifier de « salafiste » – et radicalement décentralisateur en matière institutionnelle.

M. Saïed n’aura cessé d’être une énigme pour les observateurs. Les médias l’ont peu suivi et les analystes ne l’ont pas vraiment pris au sérieux tant il défiait les canons du combat électoral. Il a été taxé d’« idéaliste » plutôt que de « populiste », comme d’autres figures d’« outsiders », tel Nabil Karoui. Et contrairement à ce dernier, et aux candidats issus des partis traditionnels, il n’a été adossé à aucune machine électorale. Il n’a tenu ni meeting ni conférence de presse. Aucune équipe de campagne ne l’entourait véritablement. Il a simplement compté sur un réseau de « jeunes bénévoles » œuvrant sans contrepartie ni direction.

« La source de votre propre développement »

Kaïs Saïed est pourtant loin d’être un inconnu aux yeux des Tunisiens. Il était un familier des plateaux de télévision où il est longtemps intervenu en qualité de constitutionnaliste, commentant la mise en place des institutions post-révolutionnaires. Titulaire d’un diplôme d’études approfondies en droit international, il a décortiqué les enjeux de chaque chapitre de la Constitution de 2014. Et déjà, sa vision transparaissait. Il critiquait le modèle centralisé inspirant cette Constitution. Son visage impassible, traits figés, sa voix grave et son phrasé incantatoire, lui ont valu le sobriquet de « Robocop ».

« Kaïs Saïed incarne une rectitude morale jusque dans son élocution, sa démarche et son habillement, commente Amin Allal, chercheur au CNRS. Sa diction rétrograde, voire ampoulée, complète le tableau, celui d’un homme qui emprunte le vocabulaire du droit pour dire le juste. »

Sa vision institutionnelle est celle d’une décentralisation hardie. « La décision doit émaner du local vers le centre en passant par le régional », prône-t-il. Ainsi, selon lui, chaque conseil local gérera ses défis économiques et adoptera le modèle de développement qui lui correspond. La somme de ces programmes est censée aboutir à la prospérité nationale. L’homme évolue avec un certain idéalisme : à ses yeux, le changement institutionnel peut ouvrir la voie au règlement des problèmes économiques.

En 2017, il s’adresse aux manifestants d’Al-Kamour (Tataouine, sud) qui bloquaient des installations pétrolières afin de réclamer une meilleure répartition des richesses naturelles au profit des populations locales. « N’attendez pas un seigneur généreux, n’acceptez pas l’aumône », avait-il alors exhorté. Des critiques le traitent d’« anarchiste ». Lors de la campagne, il réitérera son idée en s’adressant aux Tunisiens : « Vous devez être la source de votre propre développement. »

Si l’on en croit ses déclarations, le système de Kaïs Saïed relèverait d’une forme de démocratie directe. « Dans cette réorganisation politico-administrative, la révocabilité des élus est au cœur du projet », explique Mohamed Slim Ben Youssef, politiste. Pourtant, interrogé sur une radio privée, Kaïs Saïed dit qu’il ne démissionnera pas si son projet de réforme constitutionnelle n’est pas validé par les deux tiers du Parlement, préférant attendre la fin de son mandat.

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Sa prestation lors d’un débat électoral à la télévision a confirmé l’image d’un adepte de la formule lapidaire. Il annonce ainsi que sa première visite à l’étranger, s’il devait être élu président, serait consacrée à l’Algérie. « On ne peut pas changer la géographie, mais on peut écrire l’Histoire », avait-il alors expliqué. Quand une question lui est posée sur la Ligue arabe, il affirme que cette structure est « immunisée contre la mort et protégée de toute réforme ». A propos du débat sur d’éventuels liens entre la Tunisie et Israël, il préfère parler de « haute trahison » plutôt que de « normalisation », formule plus usuelle. Toujours pointilleux sur la forme, il ne dépassera à aucun moment les quatre-vingt-dix secondes qui lui étaient imparties lors du débat.

Cheval de Troie

Interpellé sur le respect de la diversité et des différences culturelles et religieuses en Tunisie, M. Saïed a estimé que « poser ce genre de questions au sein d’une société aussi harmonieuse que la société tunisienne est un problème créé ex nihilo. » Au fil des interventions, c’est finalement un conservateur qui se dévoile. Il prône l’application de la peine de mort alors qu’un moratoire est en vigueur depuis 1991. M. Saïed fustige les Etats qui appliquent une abolition sur leur sol « alors qu’ils procèdent à des assassinats extrajudiciaires » en dehors de leur territoire.

Sur l’épineuse question de l’égalité dans l’héritage, Kaïs Saïed affirme que l’islam est la religion de l’Etat, jouant ainsi sur l’ambiguïté de l’article premier de la Constitution, qui dispose que « la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion ». Il remet en cause l’opportunité d’un tel débat, accusant les Européens d’avoir poussé en ce sens. « Est-ce que les Tunisiens ont demandé l’égalité dans l’héritage ? Qu’ont-ils à hériter mis à part la misère et la pauvreté ? Cette idée n’émane pas du peuple, mais des recommandations du Parlement européen. » Sur le sujet, il s’en tient au statu quo, reprenant à son compte l’héritage de Habib Bourguiba qui, rappelle-t-il, n’avait lui-même pas osé toucher à la tradition coranique de l’inégalité successorale entre hommes et femmes.

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A la télévision ou devant ses étudiants, le visage de Kaïs Saïd ne présente aucune expression particulière. Yasmine Gmar, une de ses étudiantes en droit, raconte qu’il « ne faisait pas partie d’un groupe d’enseignants. Il soutenait les élèves de différentes appartenances syndicales quand la cause lui semblait juste. » Ses étudiants, se souvient-elle, n’arrivaient pas à identifier son bord politique, car il critiquait tous les partis au pouvoir quelle que soit leur couleur. Cela n’empêche pas ses détracteurs de le soupçonner d’être un cheval de Troie du parti islamo-conservateur Ennahda.

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