En Algérie, « le régime a surestimé la patience du peuple »

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Selon l’historienne Karima Dirèche, en manifestant massivement contre Bouteflika, les Algériens démentent leur prétendue dépolitisation héritée de la « décennie noire ».

Propos recueillis par Frédéric Bobin Publié aujourd’hui à 19h30, mis à jour à 19h30

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Pendant les manifestations du 26 février à Tlemcen, en Algérie.
Pendant les manifestations du 26 février à Tlemcen, en Algérie. HOUARI BOUCHENAK / COLLECTIF 220

Karima Dirèche est historienne, directrice de recherche au CNRS, affiliée à l’unité mixte de recherches Telemme (Temps, Espaces, Langages, Europe méridionale, Méditerranée) de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme d’Aix-en-Provence. Ancienne directrice, entre 2013 et 2017, de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), à Tunis, elle a dirigé un ouvrage collectif à paraître début avril : L’Algérie au présent, entre résistances et changements (IRMC-Karthala).

Depuis le vendredi 22 février, l’Algérie est secouée par un mouvement de protestation contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, qui a pris tout le monde de court. On pensait les Algériens vaccinés contre la tentation de la rue, en raison de la mémoire encore fraîche des violences de la « décennie noire » des années 1990. Ils ont démenti cette idée reçue. Que s’est-il passé ?

Karima Dirèche En effet, rares sont ceux qui avaient anticipé un tel mouvement. Car il y a cette lecture, assénée depuis près de vingt ans par les dirigeants algériens, d’une société figée dans le trauma des années 1990 et en état de sidération.

Il s’agit d’une vision très culpabilisante, puisque les autorités publiques, politiques et religieuses répétaient à l’envi que les violences de la « décennie noire » ont été le résultat des contestations politiques de la fin des années 1980, notamment le proto-« printemps algérien » de 1988, qui ont remis en question l’ordre politique assurant, depuis l’indépendance, la sécurité et la paix. Une opposition qui a provoqué cette « tragédie nationale » [les affrontements entre l’armée et les maquis islamistes ont fait entre 100 000 et 200 000 morts et 20 000 disparus], selon la formule officielle, comme s’il s’agissait d’une malédiction divine, d’une fatalité.

Cette lecture a figé les individus dans le malheur et la crainte du chaos, en leur niant tout répertoire d’action et de velléité de mobilisation collective. Du coup, on a fini par se convaincre que les Algériens ne sortiraient plus dans la rue, car ils ont trop souffert et n’aspirent plus qu’à la quiétude et la paix, fût-ce au prix d’une stabilité politique incarnée par un homme dont on ignore s’il est encore vivant.

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Pourquoi les Algériens n’ont-ils pas été intimidés par ce rappel de la violence passée ?

Il me semble que c’est avant tout une affaire de dignité et d’honneur, et l’expression d’une immense lassitude, nourrie par l’arrogance des déclarations officielles, les menaces à peine voilées et cette mascarade de fauteuil vide occupé par un cadre à l’effigie du président. Les Algériens vivent mal l’humiliation de ce rituel surréaliste d’allégeance à un cadre. Le régime a surestimé la patience du peuple algérien – ce qui donne la mesure de sa morgue et sa condescendance – en comptant sur la supposée dépolitisation du peuple héritée des violences de 1990. Les Algériens affirment aujourd’hui le contraire : « On n’ira pas voter pour un fauteuil vide. »

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