Pourquoi les scientifiques s’inquiètent des incendies de l’Amazonie

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Une zone détruite par les incendies, près de Porto Velho, dans l’Etat du Rondônia, au Brésil, le 24 août 2019.
Une zone détruite par les incendies, près de Porto Velho, dans l’Etat du Rondônia, au Brésil, le 24 août 2019. CARLOS FABAL / AFP

Les incendies qui frappent la forêt amazonienne ces dernières semaines se sont invités jusqu’au G7, sommet réunissant quelques-unes des plus grandes économies du monde à Biarritz, entre le 24 et le 26 août. A l’issue de cet événement, les sept pays ont proposé une aide de 20 millions de dollars pour assister le Brésil dans sa lutte contre les incendies, avant que son président, Jair Bolsonaro, ne refuse la proposition.

Si des feux se produisent chaque année en détruisant des milliers de kilomètres carrés de la plus grande forêt primaire du globe, les incendies actuels inquiètent les défenseurs de l’environnement car ils gagnent en intensité après des années de déclin de la déforestation.

Et la politique de Jair Bolsonaro, élu en octobre 2018, n’est pas étrangère au regain d’inquiétude observé cet été pour cet écosystème plus fragile qu’il n’y paraît.

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Selon un article paru le 26 août dans la revue Science, la déforestation est clairement à l’origine de ces incendies. Le nombre de feux détecté par les satellites de l’INPE (l’agence brésilienne pour la recherche spatiale) et de la NASA sont les plus élevés depuis 2010, année durant laquelle El Niño avait entraîné une forte sécheresse. Cette année, la saison n’est pas particulièrement sèche, mais les dix municipalités les plus touchées sont aussi celles ayant enregistré les plus hauts taux de déforestation, selon l’Institut de recherche environnementale de l’Amazonie (IPAM).

Ainsi, les mêmes schémas typiques de la déforestation sont observés le long de la frontière agricole de la forêt, selon Paulo Artaxo, physicien spécialiste de l’atmosphère à l’université de Sao Paolo : les arbres sont d’abord abattus, avant que le reste de la végétation ne soit brûlé pour faire place à du pâturage ou des cultures. « Il ne fait aucun doute que cette augmentation de l’activité des feux est associée à une forte augmentation de la déforestation », selon le chercheur.

Cette déforestation a plusieurs conséquences concrètes qui dépassent de loin l’environnement brésilien.

  • Emissions de CO2 dans l’atmosphère

La première des conséquences est évidemment la libération dans l’air d’une très grande quantité de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre contribuant au réchauffement du climat terrestre. Parce que la combustion de la biomasse émet naturellement du CO2, mais aussi parce que la mort des arbres libère tout le carbone qui y est séquestré depuis des décennies.

Il est encore beaucoup trop tôt pour savoir combien de CO2 sera émis par les événements en cours dans le bassin amazonien, mais les quantités relâchées par des incendies géants ne sont pas négligeables. Une étude publiée en 2002 dans la revue Nature montrait que les incendies géants de Bornéo, en Indonésie, en 1997 (les plus grands connus, 79 000 km² détruits) ont dégagé entre 810 millions et 2,57 milliards de tonnes de carbone, ce qui a contribué à la plus grande augmentation de la concentration atmosphérique en CO2 depuis l’enregistrement des données, en 1957.

Pour avoir un ordre de grandeur, le Brésil a émis entre 1 et 1,5 milliard de tonnes de CO2 en 2017, et les émissions mondiales de CO2 ont atteint en 2018 37,1 milliards de tonnes.

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  • Destruction de puits de carbone

La destruction de forêts, d’autant plus de forêts primaires comme celle de l’Amazonie, la plus vaste et la plus riche de la planète, la prive de ce qu’on appelle un « puits de carbone », c’est-à-dire de la capacité des végétaux à absorber le carbone. En limitant la concentration du CO2 dans l’atmosphère, ces puits de carbone sont cruciaux pour lutter contre le réchauffement climatique.

Des publications récentes dans Science et Nature ont montré qu’à l’exception des forêts primaires – c’est-à-dire des forêts non façonnées par l’homme, qui reculent d’année en année (en baisse de 10 % dans les zones tropicales entre 1990 et 2015), les forêts, usées par les sécheresses et la déforestation, jouaient de moins en moins ce rôle d’absorption, voire pouvaient devenir des émetteurs nets de CO2.

  • Destruction de la biodiversité

La destruction de la forêt amazonienne menace directement l’exceptionnelle biodiversité qu’elle héberge. Cet écosystème, qui représente seulement 1 % de la surface émergée du globe, abrite 10 % des espèces connues et, selon des estimations, jusqu’à 25 % de la biodiversité.

Selon le WWF (fonds mondial pour la nature), on y a dénombré 40 000 variétés de plantes, 2,5 millions d’espèces d’insectes, 427 espèces de mammifères, 1 293 espèces d’oiseaux, 378 espèces de reptiles, 427 espèces d’amphibiens et 3 000 espèces de poissons, dont beaucoup sont endémiques, c’est-à-dire spécifiques à cette région. Mais au vu des connaissances très partielles de la richesse de la vie dans le bassin amazonien, ces chiffres sont très probablement nettement en dessous du décompte réel.

En plus du danger inhérent aux incendies de forêt, les espèces endémiques sont menacées d’extinction en raison de la richesse de cette forêt primaire, ce qui la rend irremplaçable par des forêts secondaires qui auraient repoussé ultérieurement (même si les recherches menées en ce sens montrent que les forêts secondaires recréées parviennent à un haut degré de biodiversité).

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Cette biodiversité constitue aussi la richesse de centaines d’ethnies indigènes qui habitent depuis longtemps dans le bassin amazonien, dont la culture et même la survie sont étroitement liées à la forêt et à ses ressources.

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Les forêts tropicales comme la forêt amazonienne ne se contentent pas d’abriter une biodiversité extraordinaire et de séquestrer de grandes quantités de carbones, elles régulent aussi en partie le climat, localement et mondialement. A tel point que l’Amazonie est parfois appelée l’« océan vert ».

L’humidité de la forêt génère ce que l’on appelle l’évapotranspiration : de grandes quantités d’eau s’évaporent et forment les nuages, qui à leur tour entraînent des précipitations permettant d’irriguer les sols. Cela participe au cycle hydrologique du bassin amazonien, c’est-à-dire au cycle de l’eau. Or, cet équilibre est considéré comme fragile.

La déforestation, par l’exploitation des ressources forestières ou par les feux de forêt, réduit la quantité d’eau qui s’évapore et rend le climat plus sec dans une région dont les températures devraient augmenter d’environ 3,3 °C d’ici la fin du siècle. Moins de vapeur d’eau signifie moins de précipitations, des sols plus arides, des sécheresses plus régulières et plus importantes, qui entraîneront à leur tour des feux de forêts plus ravageurs et des difficultés croissantes à cultiver les terres autrefois déforestées, désormais plus sensibles à l’érosion.

Ces enjeux dépassent largement le bassin amazonien. Le climat de l’Amérique du Sud, et même du monde entier seraient affectés tant le rôle de régulateur de la forêt amazonienne est critique. La multiplication des grandes sécheresses (2005, 2010, 2015-2016) fait penser à certains scientifiques qu’il existe peut-être un point de bascule qui, s’il était franchi, perturberait graduellement ce cycle hydrologique indispensable au climat. « Si nous détruisons suffisamment de forêt, nous pourrions faire basculer l’Amazonie dans un climat bien plus sec, qui peut devenir une savane. Ce serait une grosse perte pour notre planète et un quasi “game over” pour la lutte contre le changement climatique », selon Roel Brienen, professeur à l’université de Leeds, au Royaume-Uni, interrogé par NBCNews le 23 août.

Deux chercheurs américain et brésilien, Thomas Lovejoy et Carlos Nobre, ont estimé dans un éditorial publié dans Science en 2018 qu’une déforestation de 20 à 25 % de l’Amazonie pourrait faire s’effondrer ce cycle. On estime aujourd’hui qu’un peu plus de 19 % de la forêt a été détruite, depuis 1970.

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