« Le fil de nos vies brisées », vivre en guerre à Alep

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Journaliste au « Monde », Cécile Hennion a recueilli la parole des habitants d’Alep, cité plurimillénaire syrienne, réduite à néant en 2016. Leurs voix forment la trame d’un livre paru aux éditions Anne Carrière. En voici les bonnes feuilles.

Par Cécile Hennion Publié aujourd’hui à 10h05

Temps de Lecture 12 min.

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« Le Fil de nos vies brisées », de Cécile Hennion (Editions Anne Carrière, 220 pages, 22 euros) est paru le 15 février 2019.
« Le Fil de nos vies brisées », de Cécile Hennion (Editions Anne Carrière, 220 pages, 22 euros) est paru le 15 février 2019.

Bonnes feuilles. Responsable des pages « Géopolitique », Cécile Hennion a couvert pour Le Monde de nombreux conflits au Proche-Orient et les soulèvements populaires qui enflammèrent la région à partir de 2011. Elle est partie à la rencontre d’exilés originaires d’Alep. Des hommes, des femmes, des adolescents syriens racontent comment leur existence a basculé dans la folie de la guerre. La répression, la peur, la lutte, la mort, mais aussi le courage, l’amour et la solidarité dans les ruelles de la cité qu’ils aimaient tant. Avant d’être contraints à s’arracher de leur terre natale.

Abdelkader, 23 ans – De l’autre côté du soleil

Mon père était le genre d’homme à se réveiller plein de certitudes incongrues qu’il se hâtait de nous transmettre en nous battant comme plâtre. Pour sa défense, je dois préciser qu’il avait quitté l’école bien avant son certificat d’études pour devenir ouvrier charpentier, et qu’il avait onze enfants, ce qui est pléthore même dans un quartier comme le nôtre. Il travaillait jour et nuit, si bien que nous le voyions assez peu. De mon point de vue, c’était là une indéniable qualité. Il revenait à la maison harassé, le dos endolori et tout ratatiné. Le jour où il ne fut plus capable de construire ni même de nous battre, un de ses cousins qui avait de « bonnes relations » le pistonna pour un emploi compatible avec le délabrement de ses vertèbres.

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C’est ainsi que, cinq à six ans avant que n’éclate la révolution, mon père devint employé du régime. Il fut engagé comme concierge au siège du parti unique, dans le centre-ville. Il s’y rendait chaque matin avec une kalachnikov fournie par le gouvernement. Ses nouvelles fonctions ne changèrent rien à sa façon de considérer la politique. Avant comme après, il ne s’y intéressa jamais.
Dans ce domaine, il se contentait de faire comme tout le monde : prêcher la méfiance. Il affirmait avoir gardé des visions cauchemardesques de sa propre jeunesse, dans les années 1980, après la grève générale et les manifestations, quand les militaires quadrillèrent la ville avec leurs tanks, leurs hélicoptères et leurs commandos de parachutistes, arrêtant les croyants qui se rendaient à la prière de l’aube ainsi que tout individu portant la barbe. Mon père disait qu’en ce temps-là lorsqu’un homme était arrêté, il disparaissait à tout jamais : il passait « de l’autre côté du soleil ». Mon oncle fut lui-même emprisonné en raison d’un fusil de chasse déglingué, retrouvé par un commando d’élite dans un placard de sa cuisine. Mystère, mon oncle ne fut pas fusillé.

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