Au Guatemala, les morts du lac Izabal

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A fisherman who prefers to remain anonymous due to fear of being criminalized, rides his boat at dawn on Lake Izabal. El Estor, Izabal, Guatemala. April 1, 2019.

JAMES RODRIGUEZ POUR “LE MONDE”

Par

Un écosystème exceptionnel est lourdement pollué et l’air est saturé de poussière par l’exploitation d’une mine de nickel. Deuxième épisode de notre série « Green Blood ».

Un mauvais pressentiment l’étreint. Et si la manifestation dégénérait ? Ça fait deux mois que le lac Izabal a viré au rouge. Que les pêcheurs demandent des comptes : « La mine est responsable de la pollution ! On veut une étude scientifique ! On ne peut plus travailler ! De quoi va-t-on vivre ? » Deux mois que les autorités se moquent d’eux. Un ministre a débarqué en hélicoptère de la capitale. Il a proposé des poules aux pêcheurs en guise d’indemnisation. Des poules pondeuses et des sacs de grains, la réponse de l’Etat !

Le père Ernesto file sur les lieux. Les pêcheurs sont venus sans arme ni machette. Mais la police antiémeute a été appelée en renfort de la police nationale. Ils sont au moins cinquante, un par pêcheur. Le père Ernesto crie, aux premières bombes lacrymogènes : « Couvrez-vous ! » Une balle fuse, puis une deuxième. Un pêcheur tombe. Il se précipite mais Carlos Maaz, 27 ans, baigne dans son sang, mort. Un autre a pris une balle dans la hanche.

Tel est le récit d’Ernesto Rueda Moreno, prêtre d’El Estor, deux ans après les faits. La police a nié qu’il y ait eu un mort, et ce 27 mai 2017 sanglant est une plaie restée à vif dans cette ville du nord-est du Guatemala au bord du lac Izabal, le plus grand du pays, un écosystème exceptionnel de 590 km2. C’est là qu’à flanc de la Sierra Santa Cruz s’est établie la principale mine de nickel d’Amérique centrale, un minerai convoité, utilisé pour la fabrication d’alliages et d’acier inoxydable, vendus dans le monde entier.

Le prêtre Ernesto Rueda Moreno, devant le portrait de saint Oscar Romero, dans l’église de San Pedro Apostol, à El Estor, le 28 mars. Saint Oscar Romero, défenseur des droits de l’homme, a été abattu lors d’une messe donnée au Salvador, en 1980.
Le prêtre Ernesto Rueda Moreno, devant le portrait de saint Oscar Romero, dans l’église de San Pedro Apostol, à El Estor, le 28 mars. Saint Oscar Romero, défenseur des droits de l’homme, a été abattu lors d’une messe donnée au Salvador, en 1980. JAMES RODRIGUEZ POUR “LE MONDE”

La mine Fenix et les sociétés CGN et Pronico qui l’exploitent appartiennent depuis 2011 à Solway, une multinationale suisse dotée d’une holding à Malte, dirigée sur le terrain par des Russes. Une société que tout le monde ici appelle l’« Empresa » – l’entreprise – ce qui en dit long sur son emprise sur le territoire.

Assis sous une image pieuse, dans la fraîcheur du presbytère, le père Ernesto fait une pause, attentif aux bruits de la nuit. Le danger est partout au Guatemala, et il ne fait pas bon critiquer l’« Empresa ». Les journalistes de Prensa Comunitaria qui ont écrit sur la mine et couvert le drame du 27 mai ont été attaqués en justice et accusés d’avoir inventé un mort. Jusqu’ici, les autorités n’ont pas voulu de son témoignage, qui pourtant les réhabiliterait.

« Oui, un homme est mort »

Alors ce soir d’avril, l’homme d’Eglise parle à ces étrangers de l’équipe Forbidden Stories, venus d’Europe poursuivre le travail de leurs collègues. Face à une mine que les autorités protègent à tout prix, les 15 000 habitants d’El Estor, des Mayas de langue kekchie, ne font pas le poids. S’il faut quelqu’un pour faire sortir la vérité de cet étouffoir et servir de rempart contre la violence et l’impunité, le père Ernesto est prêt. Il leur doit ça. Dans quelques semaines, il quittera le Guatemala pour un poste en Belgique. « Oui, réaffirme-t-il, un homme est mort à El Estor sous les balles de la police, pour avoir dénoncé les pratiques d’une mine. »

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