L’incendie des studios d’Universal, le 1er juin 2008, « jour où la musique a brûlé »

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Le 1er juin 2008, au petit matin, l’alarme est donnée à l’Universal Studios Hollywood, à Los Angeles (Californie), vaste complexe qui réunit des plateaux de cinéma, des attractions ouvertes au public, des entrepôts de décors, d’archives, des bureaux, etc. Un feu s’est déclaré sur un toit et se propage rapidement. Après vingt-quatre heures de lutte contre le sinistre, quelques blessés, des dégâts matériels et la perte d’archives sont à déplorer, est-il expliqué à la presse. Rien de très grave, en somme.

Les archives qui ont brûlé, dont la nature n’est alors pas précisée, se trouvaient dans le bâtiment 6197, utilisé par la major du disque Universal Music Group (UMG). A la suite de l’incendie, la maison de disques minimise l’ampleur des dégâts en donnant les noms d’obscurs artistes des années 1940-1950 et en affirmant qu’il y avait là surtout des copies de documents.

Mais onze ans après les faits, le journaliste américain Jody Rosen raconte, dans une longue enquête publiée par le New York Times Magazine, titrée « The day the music burned » (« Le jour où la musique a brûlé »), une autre version de cet incendie et de ses conséquences. Il s’agissait du « plus grand désastre de l’histoire de l’industrie de la musique », affirme le magazine.

500 000 titres sont partis en fumée

Jody Rosen a retrouvé le responsable des archives d’UMG de l’époque, Randy Aronson. Arrivé là un peu par hasard au milieu des années 1980, le fan de rock s’est très vite attaché à ce qui représentait un véritable trésor. « Chaque jour, quand il arrivait dans le bâtiment [des archives], il avait le sentiment d’entrer dans une cathédrale pleine à craquer de reliques », raconte le journaliste. Le jour de l’incendie, Randy Aronson arrive sur les lieux en pleine nuit et ne peut que constater l’horreur : « C’est comme un de ces films de fin du monde, j’avais l’impression que ma planète avait été détruite. » Tenu au silence pendant dix ans, il ne dit rien de l’ampleur des pertes. Seuls les initiés en prennent peu à peu connaissance.

Le journaliste a également eu accès à des documents internes d’UMG. Dans une note confidentielle de mars 2009, la maison de disques estime à 118 230 le nombre d’œuvres musicales parties en fumée ce 1er juin 2008. Dans un autre rapport, publié un peu plus tard en 2009, UMG affirme qu’environ 500 000 titres ont été perdus. « Le bâtiment des archives de la côte ouest a disparu, dans son intégralité, reconnaît UMG dans un autre document interne de l’époque. Une immense partie de notre patrimoine musical a sans aucun doute été perdue dans l’incendie. »

Des pompiers devant l’une des entrée des studios Universal, à Los  Angeles, le 1er juin 2008.
Des pompiers devant l’une des entrée des studios Universal, à Los  Angeles, le 1er juin 2008. Fred Prouser / REUTERS

Parmi ces archives détruites, issues des fonds de diverses compagnies phonographiques appartenant à UMG, figurent des enregistrements de nombreux artistes de jazz – Billie Holiday, Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald, John Coltrane, Charles Mingus, Pharoah Sanders, etc. –, du blues et du rock’n’roll – dont probablement la quasi-totalité des archives de Chess Records, par Muddy Waters, Willie Dixon, Bo Diddley, Etta James, John Lee Hooker, Buddy Guy et Chuck Berry –, de la soul, de la pop et même du rap – Sonny and Cher, Al Green, Eric Clapton, Aerosmith, Barry White, The Police, Nirvana, Eminem…

Dans son article, le journaliste énumère soixante-dix-sept noms d’artistes dont des enregistrements ont été détruits, mais il reste difficile d’évaluer précisément les pertes. Avant la catastrophe, le référencement des archives était parcellaire et jusqu’aux années 1990, inscrit sur des petites fiches papier.

Le dédain des maisons de disques pour les archives

Mais surtout, selon Jody Rosen, les archives disparues n’étaient pas des copies, comme l’avait annoncé UMG, mais bien, pour beaucoup, des masters originaux – sources notamment pour le mixage de chansons, d’instrumentaux et références lors de rééditions – de morceaux publiés, mais aussi d’inédits. « Le master original, explique le journaliste, contient les détails du disque dans leur forme la plus pure : le grain de la voix d’un chanteur, les timbres d’instruments, l’ambiance du studio. »

« Les documents juridiques, les rapports d’UMG et les récits d’Aronson et d’autres personnes familières des collections stockées dans la chambre forte ne laissent guère de doute sur le fait que les pertes furent importantes, emportant un large échantillon de l’histoire de la musique populaire, de l’après-guerre aux stars d’aujourd’hui », résume le New York Times Magazine.

Pour le journaliste, cet incendie est à mettre sur le compte du dédain des maisons de disques pour les archives. Il cite les cas de destructions volontaires pour récupérer les supports métalliques des bandes magnétiques, la faible attention portée à l’intégrité des lieux de stockage… Plus globalement, Jody Rosen estime que l’industrie de la musique ne semble pas vouloir s’occuper du passé, les yeux rivés sur les tubes du moment et la « machine à cash ». La préservation et la restauration du patrimoine musical coûtent cher, en temps et en espace.

Inspection des lieux par les pompiers, au lendemain de l’incendie des studios Universal, le 2 juin 2008.
Inspection des lieux par les pompiers, au lendemain de l’incendie des studios Universal, le 2 juin 2008. Ric Francis / AP

Quelques années avant l’incident, Randy Aronson avait déjà alerté UMG sur l’urgence de déménager ses archives : de l’explosif était remisé dans le même bâtiment, pour les besoins des tournages et les attractions du parc à proximité. Environ 250 000 documents avaient alors été emmenés sur un autre site, en Pennsylvanie.

Dans un communiqué publié à la suite de l’enquête du New York Times Magazine, UMG a dénoncé un article qui contiendrait « nombre d’inexactitudes » et exagérerait « la portée de l’incident ». L’incendie « n’a jamais affecté la distribution des musiques déjà publiées ni le revenu des artistes », affirme la plus grande maison de disques au monde. Selon ce même communiqué, des enregistrements annoncés comme détruits dans l’article du New York Times ont pu être utilisés pour publier des versions remastérisées, et n’auraient donc jamais été détruits.

L’ancien archiviste, Randy Aronson, principale source du journaliste américain, a aujourd’hui quitté Universal. Parti de Los Angeles et des hangars de studios emplis de masters mythiques et autres microsillons, il habite désormais dans une caravane et s’est abonné à Spotify.

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