« Les victimes du réchauffement se battent au lieu de s’entraider »

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En partant des inondations qui frappent la planète, l’historien Jean-Baptiste Fressoz explique, dans une chronique au « Monde », comment le changement climatique s’attaque au cœur du système économique qui l’a causé.

Publié aujourd’hui à 06h30 Temps de Lecture 3 min.

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Inondation à Sand Springs, dans l’Oklahoma, le 23 mai, après des épisodes d’orages et de pluies torrentielles sur le Midwest.
Inondation à Sand Springs, dans l’Oklahoma, le 23 mai, après des épisodes d’orages et de pluies torrentielles sur le Midwest. Tom Gilbert / AP

Chronique. En 1990, le philosophe Michel Serres, disparu le 1er juin, ouvrait son ouvrage Le Contrat naturel (éd. François Bourin) par un célèbre tableau de Goya : Duel au gourdin. Enlisés dans la boue, deux paysans se battent au lieu de s’entraider pour s’extraire du marécage : illustration saisissante d’une guerre froide qui nous avait fait oublier la crise environnementale. Près de trente ans plus tard, on en est exactement là. Alors que de nombreuses inondations frappent partout la planète et que les grandes plaines du Midwest américain sont sous l’eau, le président Trump aggrave les sanctions économiques contre l’Iran, lui-même submergé.

Les climatologues n’hésitent plus à relier les inondations au réchauffement : une terre plus chaude, c’est une évaporation plus intense, davantage d’eau retenue dans l’atmosphère et donc des inondations plus fréquentes et plus dévastatrices. En plus de morts par centaines, comme au Malawi et en Iran, une terre plus chaude signifie aussi un système agroalimentaire mondial déstabilisé. Les dégâts dans le Nebraska, l’Iowa et le Missouri sont considérables : un demi-million d’hectares de riches terres agricoles inondées, polluées et érodées, des millions d’animaux noyés ou malades, des silos qui éclatent sous le poids des céréales imbibées d’eau, des puits contaminés par des bactéries ou des produits chimiques.

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Une innovation décisive

Pour une fois, pourrait-on dire, le changement climatique s’attaque au cœur du système économique qui l’a causé. C’est en effet dans les plaines du Midwest et autour de Chicago que s’inventent, au milieu du XIXe siècle, les grandes infrastructures de la globalisation agricole : des élévateurs à grain et d’immenses silos adéquatement reliés aux chemins de fer et aux canaux. L’innovation paraît modeste, elle est en fait décisive : le grain devient une entité abstraite, coupée de ses liens au producteur et au territoire. Dans les grands silos, on ne peut plus rapporter le blé à une ferme donnée : tous les grains sont mélangés et rangés selon des catégories de qualité. Cette abstraction rend la nature beaucoup plus apte à circuler dans les réseaux du capitalisme mondial. Le grain stocké à Chicago peut être acheté à Londres, sans se préoccuper de son origine. Il peut aussi être acheté avant même d’être produit car, en lien avec les silos, s’inventent également à Chicago les marchés « à terme » sur les produits alimentaires, comme l’explique l’historien de l’environnement William Cronon dans Nature’s Metropolis : Chicago and the Great West (Norton & Co, 1991).

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